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Débats du Sénat (Hansard)

Débats du Sénat (hansard)

1re Session, 37e Législature,
Volume 139, Numéro 49

Le mardi 18 septembre 2001
L'honorable Dan Hays, Président


  • AFFAIRES COURANTES

    LE SÉNAT

    Le mardi 18 septembre 2001

  •  

    La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

    Prière.

    [Traduction]

    NOUVEAUX SÉNATEURS

    Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, j'ai l'honneur d'informer le Sénat que le greffier a reçu du registraire général du Canada les certificats établissant que les personnes suivantes ont été appelées au Sénat:

    Laurier L. LaPierre
    Viola Léger
    Mobina S. B. Jaffer
    Jean Lapointe

    PRÉSENTATION

    Son Honneur le Président informe le Sénat que des sénateurs attendent à la porte pour être présentés.

    Les honorables sénateurs suivants sont présentés, puis remettent les brefs de Sa Majesté les appelant au Sénat. Les sénateurs, en présence du greffier, prêtent le serment prescrit et prennent leur siège.

    L'honorable Laurier L. LaPierre, d'Ottawa, Ontario, présenté par l'honorable Sharon Carstairs et l'honorable Jean-Robert Gauthier.

    L'honorable Viola Léger, de Moncton, Nouveau-Brunswick, présentée par l'honorable Sharon Carstairs et l'honorable Rose-Marie Losier-Cool.

    L'honorable Mobina S. B. Jaffer, de North Vancouver, Colombie-Britannique, présentée par l'honorable Sharon Carstairs et l'honorable Ross Fitzpatrick.

    L'honorable Jean Lapointe, de Magog, Québec, présenté par l'honorable Sharon Carstairs et l'honorable Raymond C. Setlakwe.

    Son Honneur le Président informe le Sénat que chacun des honorables sénateurs susmentionnés a fait et signé la déclaration d'aptitude prescrite par la Loi constitutionnelle de 1867, en présence du greffier du Sénat, commissaire chargé de recevoir et d'attester cette déclaration.

    (1430)

    L'honorable Sharon Carstairs (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, j'accueille aujourd'hui quatre nouveaux collègues au Sénat. J'ai l'honneur de présenter les nouveaux sénateurs qui ont tous des connaissances, un talent et une expertise à apporter à la Chambre.

    [Français]

    Le sénateur Laurier LaPierre a été acclamé pour son «nationalisme canadien passionné» et sa connaissance approfondie des questions québécoises.

    [Traduction]

    Tout au long de sa carrière, le sénateur LaPierre a été présent dans les médias canadiens en tant que journaliste, auteur, rédacteur en chef et commentateur. Le sénateur LaPierre a obtenu un doctorat de l'université de Toronto et été membre du corps enseignant de plusieurs autres université de notre pays. Il a été président de Téléfilm Canada et a animé les consultations politiques électroniques dans le cadre du Forum des citoyens sur l'avenir du Canada.

    Le sénateur LaPierre reçoit toujours l'attention des médias. En effet, on peut voir en reprise une série d'émissions de la CBC, This Hour Has Seven Days, où il reçoit des personnalités publiques. Il est aussi présent au Festival international des écrivains, à Ottawa. En 1994, le sénateur LaPierre a reçu l'Ordre du Canada pour ses réalisations et son dévouement inconditionnel à notre pays.

    Madame le sénateur Viola Léger a apporté une grande contribution à la culture canadienne et acadienne par ses nombreuses prestations saluées unanimement par la critique, particulièrement dans le rôle de La Sagouine d'Antonine Maillet, rôle auquel on l'a d'ailleurs beaucoup identifiée, au Canada et à l'étranger. En 1985, le sénateur Léger a créé sa propre compagnie de théâtre dans le but de former une nouvelle génération de comédiens au Canada.

    [Français]

    Le sénateur Léger est titulaire de plusieurs prix et décorations les plus convoités du domaine culturel. Elle a notamment reçu le titre de Chevalier de l'Ordre de la Pléiade et de Chevalier de l'Ordre français des Arts et des Lettres.

    [Traduction]

    Le sénateur Léger est devenue Officier de l'Ordre du Canada en 1989.

    Madame le sénateur Mobina Jaffer est avocate et procureure en Colombie-Britannique. Elle porte le titre de conseil de la reine depuis 1998. Elle a été membre des conseils de la Trial Lawyers' Association de la Colombie-Britannique et de l'Amérique. Le sénateur Jaffer a dispensé des conseils juridiques dans un nombre incalculable de causes touchant la discrimination fondée sur le sexe et le multiculturalisme, notamment à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, elle a été présidente du YWCA du Canada et présidente fondatrice du groupe Immigration and Visible Minority Women en Colombie-Britannique et au Yukon.

    [Français]

    Le sénateur Mobina Jaffer a été honorée de nombreuses distinctions officielles pour ses activités professionnelles et bénévoles.

    [Traduction]

    Madame le sénateur Jaffer est active sur la scène politique et sociale; elle est actuellement présidente de la Commission libérale féminine nationale.

    [Français]

    Le sénateur Jean Lapointe est un artiste et un fantaisiste québécois de renommée internationale.

    [Traduction]

    Ses spectacles lui ont valu l'admiration des spectateurs comme des critiques. Le sénateur Lapointe a également fait de l'activisme communautaire et social, créant la Fondation Jean-Lapointe et des centres pour jeunes toxicomanes destinés à remettre dans la bonne voie les alcooliques et autres toxicomanes.

    Le sénateur Lapointe a reçu deux doctorats honorifiques décernés par des universités québécoises et a été nommé «Grand Québécois de l'année» en 1995. Il a été fait Officier de l'Ordre du Canada en 1984, en remerciement pour son engagement dans des causes artistiques et sociales au Canada. Honorables sénateurs, nous sommes très honorés de compter parmi nous de nouveaux collègues aussi éminents.

    Des voix: Bravo!

    L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Honorables sénateurs, je suis ravi de me joindre au leader du gouvernement au Sénat pour féliciter et accueillir chaleureusement nos nouveaux collègues. Comme l'a si bien résumé le sénateur Carstairs, chacun de ces nouveaux sénateurs apporte au Sénat un talent et une expérience qui sont aussi diversifiés qu'impressionnants. Puissent ces atouts profiter également au processus parlementaire.

    Le Sénat est, d'abord et avant tout, partenaire et acteur indispensable dans l'évolution de la législation fédérale. L'adaptation n'est pas toujours facile, même pour ceux qui nous arrivent avec une certaine expérience politique, et elle n'est certainement pas rapide. Je m'empresse d'ajouter, pour rassurer les nouveaux sénateurs, que, quelles que soient nos différences, la tradition dans cette institution veut que nous travaillions de concert plutôt que chacun de son côté. Puissent ces seules paroles donner confiance à ces nouveaux sénateurs tandis qu'ils entreprennent une aventure qui sera assurément des plus enrichissantes.

    [Français]

    Qu'il me soit permis tout particulièrement de souligner à titre personnel l'arrivée du sénateur Lapointe de ma province. Non seulement est-il l'une des personnalités les plus estimées au Québec, il a, comme moi, élu résidence dans les Cantons-de-l'Est, plus particulièrement dans la région de Magog. Quelle clairvoyance qui augure bien pour toute la population du Canada!

    (1440)

    [Traduction]

    Je félicite encore une fois les nouveaux venus et je leur offre mes meilleurs voeux de succès dans leurs nouvelles tâches.

    Des voix: Bravo!

    L'honorable Marcel Prud'homme: Honorables sénateurs, j'aimerais attirer l'attention du Sénat sur le fait que nous vivons un moment historique aujourd'hui. En accueillant madame Mobina Jaffer, nous recevons au Sénat, avec grande fierté comme nous l'avons précédemment fait pour d'autres, le premier sénateur de confession musulmane qui a prêté serment d'allégeance à la Reine sur le Coran sacré. Je ne me serais jamais pardonné d'avoir omis de mentionner ce fait. Je sais que je n'embarrasse nullement le sénateur ou sa famille en déclarant qu'il s'agit d'un important événement d'un point de vue historique.

    Des voix: Bravo!


    AFFAIRES COURANTES

    LES ÉTATS-UNIS

    LES ATTAQUES TERRORISTES DU 11 SEPTEMBRE 2001—ADOPTION DE LA MOTION DE CONDOLÉANCES ET D'APPUI

    Permission ayant été accordée de passer aux avis de motion:

    L'honorable Sharon Carstairs (leader du gouvernement), avec la permission du Sénat, nonobstant l'alinéa 58(1)i) du Règlement et appuyée par l'honorable sénateur Lynch-Staunton, propose:

    Que le Sénat exprime son émoi et sa consternation face aux attaques insensées et odieuses dont les États-Unis ont été la cible le 11 septembre 2001;

    Qu'il offre ses plus profondes condoléances aux familles des victimes et au peuple américain tout entier;

    Qu'il réitère sa détermination à défendre la liberté et la démocratie, à traduire en justice ceux dont les actions témoignent de leur mépris pour ces valeurs fondamentales, ainsi qu'à défendre le monde civilisé contre toute nouvelle attaque terroriste.

    Son Honneur le Président: Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?

    Je sais que des sénateurs désirent prendre la parole et je vais donner la parole d'abord à l'honorable sénateur Carstairs.

    [Français]

    Compte tenu du libellé de la motion, je suggère que les honorables sénateurs observent une minute de silence.

    (Les sénateurs observent une minute de silence.)

    [Traduction]

    Le sénateur Carstairs: Honorables sénateurs, mardi dernier les Canadiens sont restés abasourdis devant les images transmises à la télévision. Nous avons pensé ou espéré au début qu'il s'agissait simplement d'un accident, lorsque le premier avion a percuté le World Trade Center, mais lorsqu'un second avion a frappé la deuxième tour, nous savions que ce n'était pas un accident.

    Nous avons appris par la suite l'attaque dirigée contre le Pentagone, puis l'écrasement d'un avion dans un champ en Pennsylvanie.

    Nous avons été les témoins horrifiés et incrédules de ces actes de violence perpétrés contre les États-Unis d'Amérique et nous avons constaté avec tristesse le carnage causé par cette violence.

    Honorables sénateurs, le souvenir de ces scènes d'horreur auxquelles nous avons assisté nous trouble encore profondément. Nous savons maintenant, si nous ne le savions pas auparavant, que le monde qui nous entoure peut vite basculer.

    Notre monde pourrait être marqué à jamais par les événements récents. Nous découvrons en nous et en notre façon de voir les autres gens et les autres nations des choses parfois encourageantes, parfois extrêmement troublantes. Nous voyons plus directement comment la haine dirigée contre une nation ou contre un individu non seulement est tout à fait déplacée, mais nourrit un cycle de haine sans fin.

    Pendant la journée de deuil national tenue la semaine dernière, nous avons constaté la sensibilité et la compassion des Canadiens. Cent mille personnes se sont rassemblées sur la colline du Parlement vendredi dernier pour rendre hommage et exprimer leurs condoléances à l'ambassadeur des États-Unis et à tous les Américains.

    [Français]

    Les Canadiens se trouvent maintenant devant la difficile et délicate tâche de décider de la suite des événements qui ont fortement marqué tous les habitants de la planète.

    [Traduction]

    Le Canada et les États-Unis sont unis par des relations spéciales qui transcendent les frontières nationales. Nous nous sentons très proches de nos voisins américains, dont certains sont des membres de notre famille et dont beaucoup sont des amis. Aucun d'entre nous n'a besoin de chercher très loin pour trouver quelqu'un qui a vécu ou travaillé ou encore qui a visité les édifices que nous avons vu se désintégrer sous nos yeux.

    Ce jour-là, beaucoup de Canadiens et de ressortissants d'autres pays ont perdu la vie. Il est vrai que ce drame s'est déroulé en sol américain, mais nous savons qu'il s'agissait aussi d'une attaque contre la démocratie. Beaucoup de dirigeants du monde entier, dont notre premier ministre, ont déclaré que la famille des pays démocratiques tiendra bon, auprès de notre allié américain.

    Nous nous sommes engagés à donner un appui sans équivoque à nos voisins américains, dans une campagne mondiale contre le terrorisme. Pour reprendre les termes du premier ministre: «Le monde a subi une attaque; le monde doit riposter.»

    Nous devons riposter comme une entité démocratique unie. Notre riposte doit être mesurée, contrôlée, efficace et juste. Nous ne devons pas nous laisser entraîner par les grands discours, mais au contraire rester droits. Notre détermination doit être inébranlable, jusqu'à ce que nous ayons supprimé la menace qui plane. Nous devrons trouver des moyens de bâtir la paix par des initiatives en faveur de la non-prolifération et d'autres initiatives de défense stratégique, tout en nous attaquant au crime international et au terrorisme.

    Nous devons être plus vigilants et accroître la sécurité à l'intérieur de nos propres frontières. Nous devrons décourager la promotion de la violence comme solution de rechange lorsque la diplomatie échoue. Cependant, nous devrons aussi veiller à ce que le terrorisme, avec ses conséquences horribles, ne se déploie pas dans le monde entier. Nous devrons trouver le juste milieu entre la force et le dialogue pour que la justice l'emporte.

    Avec les autres gouvernements alliés du monde, nous aurons beaucoup de décisions difficiles à prendre dans les jours, les mois et les années à venir. S'y retrouver dans le dédale des organisations terroristes sera suffisamment difficile sans compter les dilemmes moraux innombrables qui ne manqueront pas de se poser à nous. Nous devons sans réserve accorder notre appui et notre compréhension aux dirigeants du monde entier qui mènent la lutte contre le terrorisme. La communauté mondiale a commis des erreurs dans le passé et en commettra d'autres à l'avenir; nous devons toutefois faire confiance à nos dirigeants démocratiques pour que chaque décision prise le soit en pleine connaissance de cause, et pour que chaque initiative soit guidée par nos valeurs démocratiques communes.

    (1450)

    Il y a eu de nombreux actes d'héroïsme, des petits et des grands, à la suite des catastrophes qui ont frappé les États-Unis ce jour-là. Nous ne connaîtrons jamais le nom de tous ces héros; ceux qui ont aidé leurs collègues handicapés dans leur fauteuil roulant à sortir des édifices en flamme, les nombreux secouristes professionnels et bénévoles, les passagers qui ont refusé de se soumettre aux exigences des terroristes sachant pertinemment que cela leur coûterait la vie. C'est justement leur héroïsme qui leur a valu d'être plus exposés au danger. Ce sont ceux-là même qu'une société ne peut se permettre de perdre. Toutefois, nous devons également comprendre que, même si tels actes sont rares et héroïques, ils n'en restent pas moins inhabituels.

    [Français]

    De nombreux Canadiens ont fait la queue pour donner du sang, ont organisé le transport et ont offert le gîte, des repas et une aide médicale aux victimes de cette terrible tragédie. Nous sommes fiers des efforts qu'ils ont déployés pour aider nos voisins du Sud pendant ces journées éprouvantes.

    [Traduction]

    Nous avons vu l'héroïsme d'un nombre incalculable d'Américains se portant au secours de leurs concitoyens. De nombreux autres récits d'héroïsme nous parviendront au cours des prochaines semaines. Grâce à ces innombrables actes de courage et de compassion, nous savons que c'est le bien qui est courant et le mal qui est rare.

    Nous continuons à offrir nos condoléances et nos prières à tous ceux qui ont péri ce jour-là, quelle que soit leur nationalité, et plus particulièrement aux familles qui ont été directement touchées par cette tragédie bouleversante. Pendant que nous observions un moment de silence, une enfant s'est mise à pleurer. Peut-être a-t-elle pleuré en raison du caractère solennel de l'occasion et du fait que nous nous étions tous tus. C'est pour cette enfant et pour tous les enfants du monde que nous devons faire mieux que ce que nous avons fait jusqu'à présent.

    Des voix: Bravo!

    L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Honorables sénateurs; pour commencer, j'aimerais remercier le leader du gouvernement au Sénat d'avoir présenté cette motion que j'ai accepté d'appuyer sans aucune hésitation.

    Ce dont nous avons été témoins la semaine dernière, et qui depuis nous hante, est la froide, cruelle et brutale réalité de la vie et de la mort en ce début de siècle. Nous pleurons pour ceux qui ont perdu des êtres chers dans cet acte insensé, et nous pleurons pour les premières victimes de la première guerre de ce nouveau siècle.

    Honorables sénateurs, nous ne devons pas nous contenter de pleurer les morts. Il est temps que les législateurs canadiens de tous les partis s'unissent pour venir en aide à nos voisins du Sud. Les valeurs qui ont été visées aux États-Unis la semaine dernière, soit la liberté, la démocratie et l'égalité dans le cadre des principes juridiques, sont des valeurs que nous partageons aussi. Cet héritage commun nous unit de façon inextricable à tous les êtres humains qui sont prêts à se battre pour ces idéaux contre ceux qui voudraient les détruire.

    Au Congrès des États-Unis, un législateur jouit de l'autonomie d'action sans la contrainte de la discipline de parti qui prévaut dans notre système. On ne peut donc qu'être ému de l'incroyable appui unanime qui a été accordé au pouvoir exécutif par tous les membres des deux chambres à Washington. Nous devons faire preuve ici de la même unité politique afin de démontrer notre appui catégorique aux États-Unis alors qu'ils se lancent dans une importante campagne contre la tyrannie des terroristes. Espérons qu'ils pourront compter sur notre aide inconditionnelle au besoin ainsi que sur celle de tous les pays qui ont soif de liberté.

    Nous devons adopter des motions d'appui, mais le temps est maintenant venu pour nous de démontrer notre appui de façon réelle et tangible. En temps de crise, les amis doivent se serrer les coudes. Les vrais amis s'appuient les uns les autres. Quoi qu'en disent les opposants culturels, à titre de Canadiens, nous n'avons pas de meilleurs amis au monde que nos voisins du sud. Ce n'est pas sans raison que les mots «Children of a Common Mother — Brethren Dwelling Together in Unity» ou «Enfants de la même mère — Frères vivant ensemble dans l'unité» sont inscrits au poste frontière de Peace Arch, entre l'État de Washington et la province de la Colombie-Britannique.

    Nos liens étroits avec les États-Unis ont encore une fois été soulignés par l'ambassadeur américain au Canada, Paul Cellucci, lors de son allocution devant les milliers de personnes réunies sur la colline du Parlement vendredi et dans une lettre ouverte publiée dans plusieurs quotidiens le lendemain. Si nous doutions encore de la place que nous occupons dans le coeur et l'esprit des Américains, l'ambassadeur Cellucci a effacé ces doutes. Il a comparé l'aide offerte par les Canadiens aux Américains à des «images de générosité, de bonté sans borne et du meilleur aspect de l'être humain. Ces images cristallisent l'essence même du Canada».

    Je veux, moi aussi, dire à quel point je suis fier de tous les Canadiens qui ont réagi si rapidement et favorablement pour apporter l'aide qu'ils pouvaient aux victimes directes ou indirectes des atrocités terroristes. J'ai séjourné brièvement cet été à Terre-Neuve et en Nouvelle-Écosse et je peux témoigner de l'hospitalité des gens de cette région. Les voyageurs de tous les coins de la planète qui ont dû faire escale dans cette partie du Canada ou ailleurs n'ont pas connu de meilleur traitement que celui offert par les Canadiens chaleureux qui les ont accueillis comme des amis en temps de crise.

    Honorables sénateurs, il y a une semaine exactement, ces actes innommables ont tué et blessé des milliers d'Américains, un nombre inconnu de Canadiens et des gens de tous les coins de la planète. Il est temps pour nous de réfléchir à ce qui a fait défaut, de tirer des leçons de ce triste événement et d'agir en conséquence. Nous devons aussi planifier l'avenir et déterminer quelles mesures prendre pour faire front et réussir dans ce nouveau monde où nous vivons maintenant.

    Nous devons reconnaître notre vulnérabilité potentielle. Si jamais ce fut le cas, nous n'habitons plus maintenant une «maison à l'épreuve du feu», selon les mots employés par le sénateur Raoul Dandurand en 1924 en expliquant à quel point la géographie du Canada nous protégeait de toute attaque. Nous sommes tous vulnérables. Le fait qu'on pourrait être victimes d'attaques de la sorte a été vigoureusement souligné dans le rapport de 1999 du Comité spécial du Sénat sur la sécurité et le renseignement, présidé par le sénateur William Kelly, où l'on peut lire, à la page 5:

    Le Canada demeure une «antichambre» pour les groupes terroristes — un endroit où ils peuvent collecter des fonds, acheter des armes et exercer d'autres fonctions à l'appui de leur organisation et des activités terroristes qu'ils mènent ailleurs. La plupart des grandes organisations terroristes internationales ont une présence au Canada. Sa situation géographique fait également du Canada un point de transit privilégié pour les terroristes désireux d'entrer aux États-Unis, principale cible des attaques terroristes de par le monde.

    Le comité a recommandé que des changements soient apportés à la sécurité dans les aéroports et à nos pratiques en matière d'immigration, mesures susceptibles de contribuer à la lutte contre le terrorisme.

    Le rapport annuel du SCRS pour l'an 2000 déposé plus tôt cette année prévoit aussi clairement ce que devrait nous réserver l'avenir — un avenir qui est maintenant devenu une réalité. On y dit:

    Au cours des prochaines années, les terroristes risquent de frapper avec davantage de violence, moins de discernement et de façon plus imprévisible que ces dernières années. [...] Il y aura vraisemblablement des attentats terroristes dont le seul but sera d'engendrer la terreur même. [...] les Canadiens sont plus que jamais des victimes potentielles et [...] le Canada pourra être la cible d'attentats terroristes.

    Bien que le présent débat ne se prête peut-être pas à une analyse en détail de cette situation, nous devrons, en notre qualité de législateurs, examiner la capacité réduite des Forces armées canadiennes et déterminer quel rôle, le cas échéant, elles sont maintenant en mesure de jouer dans la défense du pays ou dans quelle mesure elles peuvent aider les États-Unis dans la lutte contre la menace universelle du terrorisme. Nous devrions aussi songer à des changements à nos politiques en matière d'immigration et aux mesures à adopter pour mettre en oeuvre les recommandations les plus pertinentes du rapport du Sénat sur la sécurité.

    Ce sont cependant là des questions qu'il faudrait aborder plus tard, lorsque, faut-il l'espérer, le gouvernement nous permettra en notre qualité de représentants des Canadiens dans les deux Chambres de participer à l'examen de notre état de préparation. C'est là le rôle primordial des députés et sénateurs en leur qualité de représentants des Canadiens. Notre devoir, et le devoir de notre pays aujourd'hui, est d'appuyer notre ami et notre voisin le plus proche au moment où il est dans le besoin. Notre devoir, issu de l'amour, de l'amitié et du respect mutuel, consiste à répondre à l'appel à l'aide. Nous devrions évaluer nos capacités et fournir des conseils fondés sur des années d'expérience comme chef de file mondial dans les domaines du maintien et de la consolidation de la paix, et aussi comme intervenant n'ayant jamais hésité à répondre à l'appel comme le démontre de façon trop éloquente les milliers de tombes de militaires canadiens dans le monde.

    (1500)

    Nous devrions communiquer avec l'administration américaine, lui offrir de l'aide et des conseils au sujet de l'application de l'article 5 de la charte de l'OTAN et peut-être aussi de la possibilité de saisir du dossier du terrorisme une organisation mondiale qui s'impose, l'ONU. Il y a diverses possibilités que, avec notre expérience, nous devrions aider les États-Unis à examiner.

    Nous sommes tous victimes des actes des terroristes. Cependant, nous devons à ceux qui sont morts de ne pas changer notre société, mais de maintenir les libertés fondamentales dont ils ont joui jusqu'à la fin. À la suite de ces morts et de cette destruction, nous devrions renouveler notre détermination à vivre dans une société libre, démocratique et ouverte.

    Je suis connu pour ne pas être très expansif, mais je voudrais terminer sur une note plus personnelle. J'habite à seulement cinq milles, en ligne directe, de la frontière canado-américaine. Je la franchis constamment. J'ai fait mes études universitaires aux États-Unis, et j'admire beaucoup le régime politique américain, avec toutes ses imperfections et tous ses excès. Mais je ne peux songer à aucun autre pays que les États-Unis, tels qu'ils sont, que je voudrais avoir pour voisin. Leur douleur est la mienne.

    Honorables sénateurs, le terrorisme ne connaît aucune frontière lorsqu'il s'attaque lâchement à nos valeurs fondamentales. C'est pourquoi nous devons déclarer, sans craindre pour notre propre identité, que, aujourd'hui, nous sommes tous Américains.

    Des voix: Bravo!

    L'honorable B. Alasdair Graham: Honorables sénateurs, en cette semaine des plus pénibles et des plus sombres de l'histoire de l'humanité, nous entrons dans la torpeur d'un monde complètement bouleversé. Nous sommes de plus en plus envahis par la certitude terrible qu'il n'y aura désormais plus aucune certitude. Une profonde tristesse côtoie la rage et les blessures ouvertes d'une horreur immense. Il y a la force inébranlable, la détermination et le noble courage des héros ordinaires qui nous donnent confiance dans l'endurance remarquable de l'esprit humain. Nous avons pleuré, en partie par suite de la cruelle tragédie de leur perte et en partie à cause de la calme détermination dont ont fait preuve tant de gens devant la mort de tous ces citoyens du pays libre avec lequel nous formons un partenariat sans égal dans l'histoire du monde.

    Lorsque le premier gouverneur du commonwealth du Massachusetts, Jonathan Winthrop, parlait de la grande mission de son peuple dans le nouveau monde, au début du XVIIe siècle, il envisageait la fondation d'une ville sur une colline, loin de l'intolérance de l'ancien monde. Cette ville, qui allait devenir les États-Unis d'Amérique, allait naître d'une révolution sous la bannière de la vie, de la liberté et du bonheur.

    La musique s'est tue, désormais, dans Lower Manhattan, un des symboles les plus forts de la puissance et de l'énergie du pays de la liberté et de la bravoure. Je crois, toutefois, que l'idéal qui a présidé à la création de la grande république, du pays parmi les plus grands de l'histoire de l'humanité, est solide et durable. Les Américains garderont confiance et la grande ville s'illuminera encore.

    On verra les Américains, les Canadiens et toutes les sociétés libres et démocratiques partout sur la planète laisser un monde ancien derrière, se soutenant mutuellement dans un combat contre des êtres méchants et sans remords, qui n'ont aucune parcelle d'humanité et qui menacent non seulement les générations d'aujourd'hui, mais les enfants de nos enfants et ceux qui viendront après eux.

    Honorables sénateurs, la motion dont nous sommes saisis offre nos plus profondes condoléances aux familles des victimes et au peuple américain tout entier. Nous réitérons notre détermination à défendre la liberté et la démocratie. Ces mots tout simples ont une portée énorme. En effet, dans ce processus de réitération, et avec la guerre au terrorisme terriblement proche, nous, peuple libre, nous efforçons de réexaminer ce que nous sommes et de proclamer les valeurs pour lesquelles nous sommes prêts à nous battre.

    Nous tirons ainsi les premières salves contre le terrorisme. Ce faisant, les Canadiens soutiennent la détermination des peuples effrayés partout dans le monde, de toutes ces nouvelles démocraties qui émergent à l'aube de la liberté. Plus important peut-être, nous contribuons à renforcer la détermination de la grande république de nos voisins du Sud pour qu'ils dépassent le stade de la rage et de l'horreur et de la soif compréhensible de vengeance. Nous devons contribuer à les conduire à un endroit meilleur.

    Au fil des siècles, malgré leurs divergences, les Canadiens et les Américains ont bâti deux pays heureux et prospères. Nos ancêtres ont bâti des pays tout aussi attachés l'un que l'autre aux principes de liberté, d'égalité et de respect de la primauté du droit, de la démocratie et des droits de la personne, un monde où les enfants ont le droit de grandir sur un pied d'égalité.

    Nous nous sommes battus côte à côte et nous sommes soutenus mutuellement dans les airs, sur terre et sur mer. Nous avons contribué à ouvrir une fenêtre de liberté en Europe. Nous avons bâti une alliance qui a donné de l'espoir à des millions de gens durant les heures les plus sombres de la guerre froide. Nous avons lutté ensemble à San Francisco aux premiers jours de la conception des Nations Unies. Nous avons bâti un système continental de défense aérienne. Nous avons ouvert l'espace aérien de part et d'autre du 49e parallèle. Ensemble, nous avons partagé un continent.

    Honorables sénateurs, nous avons perdu 75 Canadiens dans les décombres du World Trade Center. De nombreux pays ont perdu des citoyens dans ce qui était jusqu'à tout récemment des symboles flamboyants du progrès de l'Occident. La motion dont nous sommes saisis exprime notre détermination à traduire les coupables en justice et à défendre la civilisation contre ces ennemis de la race humaine et du monde entier.

    En tant que peuple canadien, nous nous demandons ce que nous pouvons faire. Les souffrances de notre grand ami et allié touchent plus profondément que jamais nos généreux citoyens épris de liberté.

    Honorables sénateurs, je crois que nous avons beaucoup à offrir dans la lutte contre la dépravation morale, intellectuelle et psychologique qu'est le terrorisme. Le Canada est un pays aimé et respecté dans le monde entier. Nous possédons un arsenal énorme, grâce à la confiance et à l'expérience que nous avons acquises sur le plan international dans un monde complètement sens dessus-dessous. Nous devons maintenant faire face à la plus rude épreuve depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous devons dire très clairement que nous nous opposons à tous ceux qui méprisent nos valeurs. Nous devons résister à la tentation du racisme et de l'intolérance qu'engendrent la crainte et la colère.

    Honorables sénateurs, nous devons parler à nos enfants et leur donner de bons enseignements. Nous devons maintenant, plus que jamais auparavant, utiliser notre source d'influence sur le plan international. Forts de toutes nos compétences diplomatiques, de toute la confiance qu'inspire notre drapeau, nous devons aider les Américains à former une coalition puissante et mondiale contre la terreur et les grottes où se multiplient ces gens dépravés, ces ennemis de la race humaine. Aucun pays, aucun peuple, aucune collectivité n'est à l'abri de leur haine implacable, de la gloire qu'ils tirent de l'assassinat d'enfants.

    Honorables sénateurs, nous devons faire la quadrature du cercle. Nous devons apporter notre aide, mais nous devons demeurer Canadiens. Nous devons offrir réconfort et soutien à tous les niveaux, mais nous ne pouvons jamais renoncer à notre identité. À bien des égards, nous devons suivre les traces des héros du passé, comme Richard Gwyn l'a écrit de manière extrêmement touchante il y a quelques jours. Nous devons lutter ensemble, si les preuves et les raisonnements semblent accablants, et nous devons prier ensemble. Le Canada doit demeurer résolument solidaire des États-Unis en ces jours amers qui suivent la tragédie.

    Honorables sénateurs, bien qu'une action militaire soit peut-être inévitable dans les jours qui viendront, nous devons conseiller aux États-Unis de s'abstenir de lancer des attaques aériennes mal orientées qui risqueraient de tuer des milliers de civils innocents, ce qui nourrirait la colère de certains pays et anéantirait les immenses témoignages de sympathie dont nous avons été témoins à l'égard des États-Unis, lors de manifestations de solidarité déchirantes et touchantes dans des capitales du monde entier.

    Nous devons comprendre que, si les États-Unis se retranchent dans l'isolationnisme et derrière une soif irrépressible d'action militaire, nous serons tous perdants. Les Canadiens devront faire façe à des menaces impitoyables contre leur souveraineté, tant au Canada qu'à l'étranger. Oui, nous devons faire la quadrature du cercle, demeurer concentrés sur nos intérêts et sur nos principes, et tenter de conseiller la retenue, si ces conseils sont nécessaires, au cours des longs jours et des longues nuits d'angoisse qui se profilent à l'horizon.

    Il est extrêmement difficile pour des gouvernements démocratiques de faire preuve de fermeté devant le terrorisme. Au cours des siècles, des terroristes de différents pays se sont servi de leurs tactiques meurtrières pour inciter leur ennemi à recourir à la brutalité. Les conséquences atroces de représailles militaires impitoyables vont bien au-delà de la mort de milliers, peut-être de centaines de milliers d'innocents. Elles s'attaquent aux fondements même de la civilisation occidentale. Si les valeurs de tolérance et de respect pour les droits de la personne et les minorités, si les valeurs de liberté et de compassion commencent à pâlir dans les démocraties occidentales, si nos convictions faiblissent, l'avenir de la démocratie sur la planète sera fracassé, et les meurtriers qui se réjouissent de la mort d'innocents auront atteint leur grand objectif.

    (1510)

    Il ne faut pas oublier, honorables sénateurs, que ces ennemis du genre humain sont les ennemis de toute l'humanité. Ils sont les ennemis des musulmans, des chrétiens et des juifs. Ils sont les ennemis des Américains, des Indonésiens et des Jordaniens.

    Peut-être ne suffit-il plus que les dirigeants du monde libre s'adressent uniquement à leurs propres ressortissants. En cette période de crise, de bouleversement et de défis, qui semblent presque insurmontables, nos dirigeants devraient s'adresser à tous les citoyens du monde, à tous ceux qui ont part à la civilisation du monde.

    Entre temps, les démocraties libres de la planète doivent déployer des efforts bien coordonnés et concertés pour extirper et détruire ce mal. Les États-Unis seront à la tête du mouvement, et le Canada doit faire tout son possible pour prêter main-forte. Il faut prier pour que le président Bush soit ferme et courageux, pour qu'il fasse preuve d'une énorme discipline et sache résister aux tentations de la politique à court terme, aux sondages où s'exprime l'opinion d'un peuple plongé dans le deuil, assoiffé de vengeance, qui réclame désespérément une rétribution immédiate, ce qui est compréhensible, vu les émotions suscitées par ces terribles incidents.

    Le président Bush, le premier ministre Chrétien et les autres dirigeants mondiaux doivent faire preuve d'une autorité morale et de leadership sur bien des fronts: la guerre contre des disparités croissantes entre riches et pauvres; la guerre contre l'oppression et la cupidité, contre la cruauté sanctionnée par l'État, dans le monde obscur de la collecte de renseignement et du contre-terrorisme.

    Oui, honorables sénateurs, le Canada doit faire tout son possible pour aider la grande république qu'est notre ami et voisin, et aussi à bien des égards notre famille, comme le premier ministre l'a dit. Nous devons tout faire hormis sacrifier notre plus important capital, au Canada et dans le monde, c'est-à-dire le coeur et l'esprit, l'âme du Canada.

    Pour reprendre les magnifiques propos d'Elie Wiesel, nous devons rester une nation qui continue de placer les droits de la personne au centre de l'univers, car c'est là que nous trouverons notre force, que les valeurs des générations à venir seront forgées, modelées, que nous enseignerons à nos enfants que le racisme, l'intolérance et la haine sont les ennemis d'une société libre.

    C'est là aussi que les Canadiens trouveront la volonté et la détermination nécessaires pour marcher dans les pas de leurs héros du passé. C'est au centre de cet univers, honorables sénateurs, que nous construirons un monde meilleur qui remplacera l'ancien.

    Des voix: Bravo!

    L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer sans réserve la motion à l'étude.

    Aujourd'hui, nous avons de nombreux défis à relever: celui d'analyser les événements tragiques du 11 septembre et de tenter de comprendre l'incompréhensible. Celui de garder confiance dans la bonté du genre humain. Celui de renforcer notre loyauté envers la société. Je suis persuadé que nous saurons relever ces défis et que le bien triomphera du mal.

    Dans le cadre de notre travail, honorables sénateurs, au Canada et dans le monde entier, nous devons utiliser comme un phare solide et fiable le principe non négociable de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine. Nous devons parler de nouveau de l'ordre qui devrait exister entre les gens. Pour être ordonnée et productive, toute société humaine doit s'appuyer sur un principe de base, celui selon lequel tout être humain est une personne ayant des droits et des devoirs du fait de son appartenance au genre humain.

    Les événements de la semaine dernière pourraient amener certains à abandonner le régime international des droits de la personne ou l'ordre international que le monde recherche. Certains peuvent faire valoir que l'instauration d'un ordre mondial n'est pas acceptée universellement. D'autres soulignent l'exclusion de certains de la répartition des biens à l'échelle mondiale; par ailleurs, d'autres remarquent l'existence apparente d'une dichotomie dans le monde actuel, un monde à la fois puissant et faible, capable d'accomplir ce qui est noble et fondamental, épris de liberté et d'esclavage, marqué par le progrès aussi bien que par le déclin, par la solidarité aussi bien que par la haine.

    Dans la société mondiale actuelle, nous pouvons être conscients que les forces déchaînées dans le monde sont entre les mains de l'humanité et qu'il n'en tient qu'à nous de les maîtriser ou d'y être assujettis. Voilà où réside le défi contemporain. Comme l'écrit Reinhold Niebuhr dans son livre, Enfants de la lumière, enfants des ténèbres, il y a ceux qui sont tellement convaincus d'avoir raison qu'ils ne reconnaissent pas l'existence ou la réalité du danger représenté par d'autres, ceux que l'on considère comme le mal. Peut-être qu'étant intoxiqués par ce que nous percevons comme étant la bonne voie, nous ne pouvons pas comprendre ou utiliser le langage des autres.

    Honorables sénateurs, j'accepte le point de vue de ceux qui considèrent les événements du 11 septembre comme le retour d'un congé de l'histoire. Il vaudrait mieux, à mon avis, accepter l'idée que la dialectique historique ne s'arrête pas, mais qu'elle continue. Nous devons tirer les enseignements de l'histoire lorsque nous prendrons, ici et ailleurs dans le monde, des décisions qui forgeront l'avenir de l'humanité.

    En appuyant la motion dont le Sénat est maintenant saisi, nous souhaitons exprimer notre solidarité avec nos amis de la grande république du sud, comme l'a décrite mon collègue, le sénateur Graham. Nous exprimons nos condoléances aux proches des victimes de cette horrible tragédie. Cependant, j'estime, honorables sénateurs, qu'en tant que Canadiens nous devons prendre conscience de la réalité contemporaine, faire front commun avec tous les peuples qui tiennent à la liberté et être prêts à accorder notre soutien matériel concret à la lutte contre le fléau du terrorisme.

    Qu'on se le dise, honorables sénateurs, le Canada et les Canadiens ont une contribution particulière à faire, une contribution fondée sur les valeurs canadiennes, sur la force morale canadienne.

    (1520)

    Le Sénat du Canada a l'occasion de prendre des mesures concrètes immédiates. La première de ces mesures pourrait être un examen minutieux du projet de loi C-11, qui concerne l'immigration au Canada. Nous pourrions aussi procéder à une étude préliminaire du projet de loi C-16. Les honorables sénateurs pourraient ainsi se pencher sur la question du financement, au Canada, d'organisations qui soutiennent directement ou indirectement des groupes terroristes. Il n'est pas nécessaire, honorables sénateurs, d'attendre que l'autre endroit ait terminé l'étude du projet de loi C-16. J'estime que nous pourrions procéder immédiatement à l'examen de ce projet de loi.

    Honorables sénateurs, parmi les autres mesures concrètes possibles, le Sénat pourrait examiner la politique gouvernementale touchant, par exemple, notre état de préparation en cas d'escalade d'activités terroristes biologiques, nucléaires ou écologiques.

    Le Sénat du Canada pourrait aussi veiller à ce que les valeurs canadiennes touchant la liberté, les responsabilités civiques et les droits de la personne conservent toute leur importance dans l'avenir.

    Je vous rappelle, honorables sénateurs, l'article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont:

    1. Dans le cas où un danger public exceptionnel menace l'existence de la nation et est proclamé par un acte officiel, les États parties...

    — c'est-à-dire le Canada —

    ... peuvent prendre, dans la stricte mesure où la situation l'exige, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le présent pacte...

    — de respecter les droits de la personne —

    sous réserve que ces mesures [...] n'entraînent pas une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l'origine sociale.

    Si je rappelle cette disposition, c'est parce que certains médias de la télévision et de la presse écrite ont recommandé de donner à l'État des pouvoirs extraordinaires, des pouvoirs qui pourraient aller à l'encontre des droits de la personne établis.

    Je rappelle aux honorables sénateurs que le pacte ne prévoit aucune dérogation aux droits visés. Il n'y a pas de dérogation possible au droit à la vie. Par conséquent, certains milieux de la presse ont proposé d'accorder aux agents de l'État des pouvoirs qui leur permettraient d'imposer la peine capitale sans jugement judiciaire. Je crois que, sous ce rapport, le Canada pourrait jouer un rôle majeur dans la lutte contre le terrorisme en faisant valoir l'importance d'agir dans le respect des valeurs établies.

    Les Canadiens doivent demeurer vigilants et s'assurer que les préjugés raciaux, par exemple, ne deviennent pas un mode de vie. Nous devons plutôt tabler sur la compréhension entre toutes les communautés qui vivent au Canada. Nous avons, honorables sénateurs, tiré la leçon de l'expérience canadienne-japonaise. Le Canada doit poursuivre ses efforts multilatéraux, intensifier sa contribution au progrès économique, social et culturel dans les régions du monde qui ont un urgent besoin de notre aide.

    Notre analyse de la tragédie de la semaine dernière aboutit à un rejet sans équivoque de cet acte inhumain, et quoique la colère et l'appel à la vengeance soient des réactions compréhensibles, le rôle du Canada, honorables sénateurs, consiste peut-être précisément à encourager la recherche d'une solution bien précise. Il s'agit, en fait, d'identifier et de châtier les auteurs de cet acte et la meilleure chance d'y arriver est d'agir dans le cadre d'une intervention internationale multilatérale.

    Nous ne devons pas toutefois laisser passer l'occasion d'examiner certaines questions sous-jacentes. Certains diront que le terrorisme international n'a rien à voir avec la façon dont nous apprenons à nous boucher les oreilles lorsque l'on nous dit qu'une personne sur trois sur cette planète n'a pas assez à manger. Ce qui doit nous guider dans les prochains jours, c'est le contexte général, et le Sénat est bien placé pour aider à comprendre ce contexte.

    Je conclurai, honorables sénateurs, sur une petite note personnelle. Au moment de cette tragédie, j'étais à bord d'un Boeing 767, volant en direction de l'Ouest à 39 000 pieds d'altitude. Il y avait quatre heures que nous avions décollé du Nouveau-Brunswick ce mardi matin. Notre avion se trouvait légèrement à l'ouest de Winnipeg. J'allais rejoindre mes collègues à l'assemblée de notre caucus national à Edmonton et notre pilote a reçu l'ordre de se rendre à l'aéroport le plus proche, qui se trouvait être Winnipeg. Notre avion était l'un des derniers à atterrir et je tiens à faire remarquer à la Chambre à quel point les personnes chargées des mesures d'urgence à Winnipeg étaient bien préparées et aussi à quel point elles étaient efficaces et courtoises. Je n'ai pas dû dormir sur un lit de camp, mais je n'avais pas non plus la possibilité de descendre dans un bel hôtel de Winnipeg. J'ai dû descendre dans un très bon petit motel, appelé le Super 8 à Winnipeg-Ouest. Je le recommande.

    L'honorable Joyce Fairbairn: Honorables sénateurs, je me joins à mes collègues pour appuyer la motion. Ces sept derniers jours ont fait prendre conscience à tous ceux qui partagent les frontières de l'Amérique du Nord de la fragilité de la paix et de la sécurité que nous avons tenues pour acquises pendant des décennies. Nous nous rendons compte maintenant de la difficulté, en tant qu'individus et en tant que nation, à nous adapter et à accepter la violence et la terreur d'une attaque sur notre propre territoire. La guerre a toujours été une chose éloignée et le Canada a envoyé des jeunes — femmes et hommes — en nombres généreux pour prendre part à des conflits à l'étranger au nom de la paix mondiale et de l'humanité.

    L'attaque terroriste du 11 septembre 2001 à New York, au Pentagone et dans un champ de la Pennsylvanie, qui a ébranlé tous les coins du notre monde, est plus qu'une tragédie dévastatrice pour les victimes, des êtres innocents de tous âges qui entamaient une nouvelle journée de travail ou qui s'étaient envolés pour une autre destination, et qui ne reviendront jamais. Elle a aussi révélé une somme bouleversante de courage, d'amour et de dévouement de la part de ceux qui ont offert tout ce qu'ils avaient, particulièrement les centaines de policiers et de pompiers qui ont donné leur vie en tentant dans un effort héroïque de secourir les victimes ou de les retrouver, tant à Manhattan qu'à Washington. Le pays tout entier partage les prières et les angoisses de ceux qui restent et qui doivent maintenant réparer les dégâts, et les prières des Canadiens s'ajoutent aux leurs.

    Comme l'a dit le premier ministre à l'ambassadeur américain Paul Cellucci et aux quelque 100 000 personnes rassemblées vendredi dernier sur la colline du Parlement pour assister à cette extraordinaire cérémonie commémorative, les Canadiens ne sont pas des amis silencieux, qu'il s'agisse de chagrin, de générosité ou de courage; ce message s'adressait au monde entier. Certains de nos propres concitoyens pleurent la disparition d'amis ou de parents dans les deux tours du World Trade Center. Les Canadiens se sont immédiatement présentés pour donner du sang. Nos hôpitaux ont offert de soigner les brûlés, du personnel médical s'est rendu à New York et, d'un bout à l'autre du pays, des localités, petites et grandes, ont ouvert leurs portes aux milliers de voyageurs dont l'avion avait été détourné vers un aéroport canadien. Nos hymnes nationaux ont été chantés avec beaucoup d'émotion, comme nous le faisons dans ma petite ville de Lethbridge, dans le sud-ouest de l'Alberta, à moins d'une heure du Montana. Ensemble, nous chantons ces hymnes régulièrement, pas uniquement dans des occasions comme celle-ci. On les a chantés une fois de plus ici, sur la colline du Parlement, tandis que nos deux drapeaux flottaient fièrement côte à côte. Nos enfants ont essayé d'exprimer leurs sentiments et leurs troubles en écrivant des lettres et en faisant des dessins. Par le biais de la télévision, nous avons tous ensemble vécu ces moments — non seulement en tant qu'amis mais aussi comme une véritable famille, unis par les libertés et les valeurs que nous partageons et par les liens étroits qui existent entre nos démocraties. Nous sommes en communion avec eux tandis que nous continuons à célébrer la frontière non gardée la plus longue au monde, ce dont nous sommes fiers.

    (1530)

    Honorables sénateurs, le premier ministre a dit que nous resterions aux côtés de nos amis américains jusqu'au bout. L'attaque contre eux est également une attaque contre nous et contre tous les pays du monde qui tiennent à la vie humaine et aux libertés publiques.

    Notre rôle à ce stade n'est pas clair, mais nous sommes très déterminés à contribuer au mieux de nos capacités à une campagne dans laquelle l'ennemi n'est pas clairement défini et demeure essentiellement invisible. Les États-Unis et leurs alliés dans la coalition visant à cerner et à traduire devant la justice leurs agresseurs se voient aujourd'hui forcés de mettre en place une nouvelle stratégie d'agression et un programme de défense passablement différent de celui qui a volé en éclats par suite de l'acte, diabolique par son étonnante simplicité, survenu il y a une semaine aujourd'hui.

    Dans le cadre du débat instantanément suscité quant à une riposte militaire, j'ai trouvé réconfortant d'entendre le président Bush observer, en dépit de sa colère, que l'ennemi n'est pas facile à cerner et que la lutte en vue du de démanteler un réseau terroriste clandestin impliquera des actions qui seront menées sur de longs mois, et peut-être sur de longues années. Nous ne pouvons pas garantir que les bombes et les missiles atteindront leurs cibles. Nous devons faire bien davantage que cela.

    Honorables sénateurs, ce combat se situe au niveau intellectuel. Il nécessite un savant dosage d'intelligence, de patience, de sagesse et d'intuition pour réussir à percer l'état d'esprit de ceux qui n'hésitent pas à se sacrifier à la cause de la haine et de la destruction qu'ils ont faites leur. Tandis que l'on découvre les faits, nous sommes glacés d'effroi d'apprendre que ces terroristes menaient une vie apparemment rangée au sein de la société américaine.

    Honorables sénateurs, comme d'autres l'ont laissé entendre, ces terroristes pourraient fort bien se trouver parmi nous. D'un point de vue historique, cela n'a rien de nouveau, mais, d'une certaine façon, d'autres impératifs imposés par la technologie nouvelle de la guerre en rase campagne ont assoupi notre capacité collective d'évaluer le potentiel destructeur du combat clandestin et de toutes les formes qu'il peut prendre. C'est là un ennemi de taille qui oblige les nations compatissantes à déployer des efforts gigantesques de confiance et de coopération pour réparer les torts et rétablir la confiance et la foi que la première puissance mondiale a perdues et dont se ressent son quotidien, comme le nôtre d'ailleurs.

    Honorables sénateurs, nous ne savons pas si le Canada jouera un rôle sur le plan militaire. Si nos troupes sont appelées à prêter main-forte, elles seront prêtes à intervenir. Dans le feu de ce débat et ailleurs au pays, nous ne devrions absolument pas minimiser l'excellence, la capacité et la détermination des Forces armées canadiennes.

    Toutefois, compte tenu de la situation de guérilla secrète, nous aurons peut-être un autre rôle à jouer. Il nous suffit de jeter un coup d'oeil sur notre histoire en tant que petite nation et de voir comment notre grand diplomate et ancien premier ministre, en l'occurrence Lester B. Pearson, a réussi à introduire la notion de maintien de la paix comme solution valable et viable pour mettre fin à un conflit armé. Le Canada s'est taillé, à l'échelle internationale, une réputation solide et enviable à titre de conciliateur et de facilitateur. Cette réputation repose sur notre participation active aux alliances clés de notre ordre mondial. Nous ne fermons jamais complètement la voie de la diplomatie. Nous avons acquis une réputation, voire une notoriété, de messager éclairé dans lequel on peut avoir confiance.

    La sécurité et le renseignement sont efficaces dans la mesure où les ressources humaines et techniques sont combinées. Nous augmenterons nos efforts au Canada, mais nous devons pouvoir compter sur la volonté de collaboration de nos alliés en matière d'échange des renseignements avec nous. Cette collégialité et cette confiance constitueront une arme indispensable dans les jours et les années à venir.

    En outre, notre gouvernement serait bien avisé de revoir les témoignages et les recommandations présentés par le Comité spécial du Sénat sur le terrorisme et la sécurité publique au cours des dernières années. Des signaux d'alarme ont été lancés haut et fort.

    Le réconfort d'une sécurité tenue pour acquise dans un pays pacifique a fait place au malaise il y a une semaine. L'impensable s'est produit, et il pourrait bien se produire de nouveau.

    Honorables sénateurs, je ne peux cependant m'empêcher de vous poser la question suivante: était-ce à ce point impensable? Nous vivons dans un havre de prospérité ici, en Amérique du Nord, comme bon nombre de nos alliés les plus proches. Nous n'avons pas une longue histoire de guerres et d'oppression, pas plus que nous n'avons souffert de la pauvreté, de la maladie ou de la privation, autant de facteurs qui engendrent le désespoir et créent les conditions propices à la tyrannie.

    Nous vivons dans un système fondé sur la primauté du droit et la tenue d'élections démocratiques. Lorsque nous en avons assez d'un dirigeant, nous pouvons en élire un autre, sans qu'il ne soit nécessaire de faire une révolution. Nous avons une Constitution et une Charte des droits et libertés qui sont respectées, ce que des millions de gens dans le monde ne peuvent même pas rêver d'avoir un jour. Il arrive bien sûr que la religion suscite des désaccords, mais elle se pratique dans la paix.

    Ce qui s'est produit en une brève semaine nous atteint en plein coeur parce que nous ne pouvons pas le comprendre. Nous ne pouvons même pas imaginer la passion et la haine qui meuvent ceux qui nous voient vivre une existence cousue de perspectives favorables pendant qu'eux vivent perpétuellement dans l'attente d'un choc de politiques, de religions, de races, et de conditions sociales et qu'ils vivent une guerre après l'autre. Des millions de gens ont à peine de quoi nourrir une famille, sans parler de l'éducation et de l'avenir qu'ils ne peuvent pas assurer à leurs enfants.

    Oui, honorables sénateurs, notre pays doit relever de grands défis afin d'aider et de protéger les plus démunis, et cela est devenu prioritaire pour tous nos gouvernements actuels et futurs. Nous ne pouvons pas nous contenter de chasser de notre esprit les causes qui ont contribué à semer le désespoir, de colère et le terrorisme ailleurs. Nous avons les outils permettant de mener une bataille humanitaire avec beaucoup plus de vigueur que notre pays n'en a jamais montré. C'est la bataille que nous ne pouvons manquer de livrer demain, sinon à nos propres risques. En attendant, nos coeurs et nos pensées sont auprès des mères et des pères, des époux et des épouses, des enfants et des familles qui ont été déchirés par les pertes de vie aux États-Unis d'Amérique, nos amis, nos voisins, nos parents.

    (1540)

    Les Américains se remettent au travail. Ils sont déterminés à continuer d'aller de l'avant et ils refusent de battre en retraite à cause de l'anxiété ou de la peur.

    Dans le même esprit, les Canadiens de toutes les régions, de toutes les cultures, races et religions qui font la force de notre pays, de tous les partis politiques de notre système démocratique doivent trouver un terrain d'entente, un grand esprit de tolérance pour que, ensemble, nous fassions la plus belle contribution possible afin que règnent l'espoir, la confiance et l'optimisme dans le seul monde que nous ayons.

    L'honorable Michael A. Meighen: Honorables sénateurs, il y a exactement une semaine, nous avons eu un réveil brutal que nous n'oublierons jamais. Trois actes de violence — tellement épouvantables par leur ampleur qu'aucun d'entre nous n'aurait pu imaginer pareille barbarie — nous ont forcés à prendre conscience que notre monde n'est plus en sécurité ou, tout au moins, ne l'est plus autant que la plupart d'entre nous le pensaient en allant au lit le 10 septembre. Nous avons des ennemis, et ils sont prêts à faire régner leur terreur et leur haine jusque chez nous.

    Les mots ne sauraient exprimer l'horreur que nous avons tous ressentie devant les images horribles que nous montrait la télévision mardi matin. Je me trouvais à Edmonton avec un grand nombre de collègues et, tout comme vous, je n'en croyais pas mes yeux. Nous avons été complètement renversés par ces actes d'une violence insensée. Nous sommes de tout coeur avec nos voisins américains, nous prions pour eux et leur courage force notre admiration.

    [Français]

    Je me joins à tous les Canadiens dans l'expression de mes profondes condoléances aux familles des victimes de cette tragédie, non seulement aux États-Unis mais aussi au Canada et dans plusieurs pays à travers le monde. Je tiens à exprimer mon admiration pour les milliers de bénévoles qui travaillent jour et nuit, et qui continueront à travailler sans répit, pendant longtemps, à tenter de secourir des survivants et à dégager la dévastation qui les entoure.

    [Traduction]

    Je désire me joindre au sénateur Lynch-Staunton et à d'autres collègues pour exprimer mes remerciements et mon admiration aux Canadiens de partout qui se sont empressés d'offrir chaleureusement et généreusement l'hospitalité à des voyageurs immobilisés venant tous les coins du monde, y compris, comme les observations du sénateur Kinsella semblent l'indiquer, même des voyageurs venant du Nouveau-Brunswick.

    Honorables sénateurs, cette guerre ne ressemblera en rien à toutes les guerres auxquelles nous avons déjà participé. La dernière fois, en fait chaque fois, l'ennemi était évident. Cette fois-ci, l'ennemi est fuyant, imprécis et, tout compte fait, lâche. Notre guerre contre le terrorisme ne sera pas une guerre pleine de victoires glorieuses. Ce sera une guerre prolongée. Elle nécessitera toutes nos réserves de patience et de persévérance. Ce sera une guerre dans laquelle nous compterons autant, sinon davantage, sur la collecte de renseignements que sur la seule force.

    [Français]

    Je suis très heureux de la déclaration sans équivoque du ministre Manley disant que le Canada est fermement engagé à travailler avec les États-Unis et nos alliés de l'OTAN afin de prendre toutes les mesures nécessaires pour combattre le terrorisme.

    Il est regrettable que cette déclaration d'appui total ait tardé, mais dans de tels moments nous devons nous concentrer sur la grande question et éviter de nous enliser dans des chicanes sur des questions de moindre importance.

    [Traduction]

    Je sais que les hommes et les femmes des Forces canadiennes, de la GRC et d'autres organismes chargés d'appliquer la loi, de même que les services du renseignement, se donneront pleinement à la lutte contre le terrorisme. Nous, Canadiens, devons nous donner pleinement à la cause. Il faut accroître les budgets, perfectionner le matériel et accélérer les acquisitions. Je suis heureux que le ministre Martin ait dit s'attendre à une augmentation des dépenses en matière de défense et de sécurité nationale. Nous sommes impatients d'obtenir plus de détails sur ce projet.

    Bien sûr, nous préparer au combat signifie que nous devons nous assurer, en tant que Canadiens, de savoir quel est le meilleur rôle que nous puissions jouer. Comme bien d'autres personnes, je soutiens depuis longtemps que nous ne recourons pas suffisamment à nos forces de réserve, particulièrement ici, au Canada. L'occasion est excellente de corriger cette erreur.

    [Français]

    La guerre contre le terrorisme ne sera pas une guerre conventionnelle. Ne commettons pas, honorables sénateurs, l'erreur classique de refaire la dernière guerre. Cette guerre sera gagnée en grande partie par des cerveaux, et non par les poings. Ce ne sera pas une guerre gagnée par ceux qui auront le plus de chars d'assaut ou le plus d'artillerie lourde.

    [Traduction]

    La guerre contre le terrorisme exige une nouvelle façon de penser, une nouvelle vision. Les États-Unis et leurs alliés auront besoin de matériel très perfectionné, de spécialistes du renseignement et des langues hautement qualifiés et de forces anti-terroristes très mobiles. Cette guerre contre le terrorisme conviendra parfaitement à ceux qui jouent des rôles particuliers. Elle est faite sur mesure pour les domaines dans lesquels le Canada possède des compétences. De toute évidence, le Canada n'a pas les bras nécessaires, mais il possède certes les cerveaux voulus. Mettons-les à l'oeuvre. Utilisons-les et jouons le rôle que le monde en est venu à attendre de la part du Canada.

    Honorables sénateurs, tout comme nous devons veiller à ce que le Canada joue un rôle approprié dans la lutte contre le terrorisme à l'extérieur de ses frontières, nous devons aussi voir à ce que le terrorisme ne vienne pas frapper dans notre territoire. Nous devrons rationaliser nos pratiques à la frontière et nos politiques en matière d'immigration afin qu'elles concordent fortement avec celle des États-Unis. Quelle honte qu'une tragédie de cette ampleur ait été nécessaire pour nous forcer à amorcer un examen se faisant depuis trop longtemps attendre!

    Comme l'a soulevé le sénateur Fairbairn, quelle honte que l'on ait permis que les trois études inédites sur le terrorisme et les façons de le combattre aient été reléguées sur une tablette où elles ont accumulé de la poussière! Ces études ont été dirigées par notre ex-collègue, le sénateur Kelly et, au moins dans le dernier cas, également par le sénateur Bryden et d'autres collègues. Quelle honte qu'elles n'aient pas été utilisées à meilleur escient!

    Quoi qu'il en soit, comme la majorité des Canadiens, je suis ravi d'apprendre que le gouvernement s'apprête à apporter des modifications pour corriger nos péchés d'omission et apporter rapidement les changements nécessaires. Ce n'est pas le moment de prêter l'oreille aux Canadiens qui se plaignent constamment des liens étroits que nous entretenons avec notre ami et notre voisin le plus proche. Une menace à l'endroit de notre voisin est une menace à notre endroit, et nous devons collaborer à la mise en place des forces et des dispositifs qui permettront de tenir cette menace à distance et, en bout de piste, de l'annihiler.

    Honorables sénateurs, comme vous le savez, nous avons récemment créé un nouveau Comité sénatorial permanent de la défense et de la sécurité. Nous ne pouvions savoir à ce moment-là à quel point notre décision était opportune et le nom, bien choisi. Ce comité aura l'occasion de poursuivre et, faut-il l'espérer, de mettre en oeuvre l'excellent travail du sénateur Kelly.

    Je suis convaincu que notre président, le sénateur Kenny, et d'autres membres du comité, y compris votre humble serviteur, voudront étudier toutes les répercussions de cette crise, y compris la capacité de nos forces armées et de nos organismes d'application de la loi à faire face à ces nouvelles menaces de façon à ce que, en tant que Canadiens, nous faisions aussi notre part dans la lutte qui semble être inévitable.

    À cet égard, je sais que nous aurons le soutien total des Canadiens, tout comme je sais que les Canadiens s'attendent à ce que nous appuyions sans équivoque la motion à l'étude.

    L'honorable Douglas Roche: Honorables sénateurs, premièrement, je tiens à offrir ma plus profonde sympathie aux familles des victimes et à tous ceux qui ont été touchés par le mal terroriste qui a sévi à New York et à Washington la semaine dernière. Deuxièmement, je déclare mon appui au premier ministre Jean Chrétien, qui a tracé hier la voie à suivre pour que le Canada riposte logiquement en se fondant sur les valeurs de liberté, de justice et de tolérance qui priment dans notre pays.

    J'exhorte le gouvernement à continuer de réagir dans le respect des principes du droit international. Je l'encourage à éviter le langage de la guerre, qui laisse entendre que seul le militarisme peut avoir raison du terrorisme.

    (1550)

    Le Canada n'est pas en guerre. Ce n'est pas la guerre que nous devrions rechercher, mais la justice. Ce n'est pas la règle de guerre qui devrait dominer, mais celle de droit.

    La population des États-Unis a été gravement touchée. Un cri de vengeance retentit. Toutefois, la vengeance comme fin en soi ne rétablira pas l'ordre dans le monde. Simplement défaire l'ennemi qu'est le terrorisme ne réglera pas les problèmes qui alimentent la haine à l'origine du terrorisme. L'action militaire en soi pourrait nous donner l'impression d'agir, mais nous risquerions de nous leurrer en pensant rendre le monde plus sûr. Un cycle de violence ne fera qu'engendrer plus de haine, plus de terrorisme et plus de danger pour toute l'humanité.

    Bien sûr, il faut pourchasser les terroristes qui ont commis ces actes terribles et les traduire en justice, tout comme la police capture les criminels. Il faudra peut-être une action militaire pour y parvenir, mais elle devra être mesurée pour que les coupables soient punis sans entraîner la mort d'autres civils innocents.

    Pour agir, le Canada devrait se fier à la résolution no 1368 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies le 12 septembre dernier. Invitant tous les États à collaborer pour mettre en oeuvre les conventions internationales antiterroristes, le Conseil de sécurité a déclaré qu'il était prêt à prendre toutes les mesures nécessaires pour riposter aux derniers attentats terroristes et pour agir conformément aux responsabilités prévues aux termes de la Charte des Nations Unies.

    L'article 51 de la Charte des Nations Unies, qui porte sur la légitime défense, permet à un État agissant de façon individuelle ou collective de se défendre contre une attaque armée, mais une telle action ne doit pas diminuer le pouvoir et le devoir qu'a le Conseil de sécurité de maintenir ou de rétablir la paix et la sécurité internationales. La coalition internationale qui est en train de se former ne peut pas et ne doit pas se substituer au Conseil de sécurité.

    Non seulement la défense doit être conforme au droit international, mais elle doit aussi faire partie d'une coopération internationale efficace pour combattre le terrorisme en respectant les principes de la Charte, y compris le respect du droit international humanitaire et des droits de la personne.

    À tout le moins, toute réponse militaire doit causer le moins de dommages possible. Les Canadiens ont toujours respecté la valeur de la vie humaine. Nous ne devons jamais approuver des frappes militaires qui auraient pour effet de tuer des innocents ou de provoquer des catastrophes humanitaires.

    En ce moment où la tension est très forte, le Canada, travaillant avec les États-Unis, doit préconiser un usage restreint de la force. Nous devons aider les États-Unis à comprendre qu'ils devraient se servir de leurs grands pouvoirs pour organiser une réponse axée sur l'aspect humanitaire, une réponse où une gamme complète de mesures visant à vraiment éradiquer le terrorisme viendrait s'ajouter à une action militaire appropriée.

    Le Canada peut apporter une contribution particulière à la lutte contre le terrorisme en prenant certaines mesures, dont celles-ci: aider à renforcer l'appareil antiterroriste de l'ONU, ce qui comprend l'établissement immédiat d'un tribunal international pour punir les terroristes; encourager la nouvelle coalition à faire de l'échange de renseignements, de la coordination policière, du contrôle des passeports, de la surveillance des voyageurs et de l'application des lois contre les terroristes, et ce, avec des fonds accrus; intensifier ses efforts visant à mettre un terme à la production internationale de matières fissiles et à contrôler tous les stocks existants afin que les futurs terroristes ne puissent pas avoir accès à des substances pouvant servir à la production d'armes nucléaires.

    En cherchant à adopter une optique plus vaste dans le cadre de ce conflit, nous ne devons pas perdre de vue que la guerre en soi n'est pas une solution au terrorisme. Nous ne devons pas avoir peur de le dire en nous appuyant sur les convictions qui sont à la base de nos valeurs.

    En ce point tournant pour le monde, puisque c'est le cas lorsque des terroristes en arrivent à détruire secrètement les biens de grande valeur des États puissants, nous devons reconnaître une terrible réalité. Aucune force militaire brute, aucune arme nucléaire, aucun missile de défense ne pourront jamais nous défendre contre ceux qui portent un coup à l'humanité même en raison de leur haine dévorante. Une telle haine exploite les aspects brutaux de la pauvreté, de l'oppression, du pouvoir et de l'avidité de la société moderne. Ainsi, le meilleur système de défense à grande portée devrait être de nous pencher sur les grandes injustices qui accentuent à l'heure actuelle les divisions entre les riches et les pauvres, les forts et les faibles, les gagnants et les désespérés.

    Il y a des questions essentielles auxquelles nous devons répondre maintenant. Sommes-nous prêts à nous attaquer aux vrais problèmes causés par les désordres sociaux et les racines de la haine? Sommes-nous prêts à renforcer les mécanismes internationaux pour promouvoir la primauté du droit ainsi que le développement économique et social? Serons-nous en mesure de donner un réel espoir à un nombre croissant de gens qui ont tout perdu?

    Honorables sénateurs, qu'est-ce que la guerre nous a donné jusqu'à maintenant? Au XXe siècle, au moins 110 millions de personnes ont été tuées dans 250 guerres, soit six fois plus de victimes qu'au cours du siècle précédent. En l'an 2000, 40 conflits armés ont été livrés sur le territoire de 35 pays. Il y a 500 millions d'armes portatives en circulation à l'échelle internationale et ces armes tuent 500 000 personnes par jour. Les gouvernements disent toujours qu'ils ont peu d'argent pour les programmes sociaux. Toutefois, ils dépensent 800 milliards de dollars par année pour le budget militaire, ce qui est 80 fois supérieur au 10 milliards de dollars qui sont consacrés à tout le système des Nations Unies.

    Cet accent sur le militarisme offre un contraste saisissant avec le déficit social de l'humanité. Près de la moitié de la population mondiale vit dans la misère noire. Des 4,6 milliards de personnes vivant dans les pays en développement, un milliard n'ont pas accès à de l'eau propre et 2,4 milliards ne disposent pas d'installations sanitaires de base. Les plus riches, qui représentent 1 p. 100 de la population mondiale, touchent des revenus correspondant à ceux de 57 p. 100 de la population rassemblant les plus pauvres. Soixante-six pays sont maintenant plus pauvres qu'ils ne l'étaient il y a dix ans.

    Voilà la réalité pour d'innombrables gens dont la colère contre l'Occident, dont la richesse et le niveau de vie élevé sont étalés quotidiennement à la télévision maintenant répandue dans les coins du monde les plus isolés, augmente de façon manifeste. Un tel climat ne peut qu'entretenir les germes du terrorisme. Si nous éliminons les terroristes d'aujourd'hui sans éliminer les problèmes qui les ont engendrés, nous n'aurons pas accompli grand-chose pour assurer notre sécurité, car les terroristes de demain se recrutent chez les enfants vivant dans les camps de réfugiés d'aujourd'hui.

    Notre époque présente cet aspect distinctif que la moralité et la pragmatique se sont croisées. Ce que nous savions depuis longtemps devoir faire pour nos frères et nos soeurs sur la planète, nous savons maintenant qu'il faut le faire si nous voulons survivre sans connaître dans notre vie les bouleversements les plus déchirants. Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'enseignement moral insiste sur les valeurs fondamentales de respect de la vie, de la liberté, de la justice et de l'équité, de respect mutuel et d'intégrité.

    (1600)

    Il est cependant nouveau que la technologie nous a menés au point où nous vivons tous sur une même planète, respirons le même air, sommes touchés par les problèmes des uns et des autres et possédons le pouvoir de supprimer toute vie.

    L'intégrité physique de toute la vie humaine exige aujourd'hui des politiques qui favorisent, et non réduisent, la vie dans toutes les régions de la planète. Le bien commun exige des politiques qui promeuvent le développement durable et socialement équitable ainsi que la paix dans toutes les régions du monde.

    Enfin, honorables sénateurs, le Canada aura de gros efforts à faire pour aider à établir les conditions pour la paix, le développement, l'équité et la justice. La véritable force du Canada se verra dans notre empressement à considérer la catastrophe actuelle comme un rappel à l'ordre afin d'inciter les systèmes politiques à offrir la justice sociale sur une planète qui se rapetisse et qui est devenue beaucoup plus dangereuse.

    L'honorable Jim Tunney: Honorables sénateurs, j'interviens aujourd'hui pour faire une déclaration que, jusqu'à il y a une semaine aujourd'hui, le 11 septembre, je n'aurais jamais imaginé faire.

    Quand j'étais enfant, je me rappelle avoir vu l'affiche qui disait: «Recherché, mort ou vivant!». Tout ce que je veux et tout ce que l'Amérique veut, c'est que les auteurs de cette tragédie soient traduits devant les tribunaux.

    Ce commentaire du président Bush, manifestement mis en scène et destiné aux médias, fait la manchette des journaux d'aujourd'hui. Certains commentaires plus inopportuns et qui ont été supprimés ont été entendus à la télévision hier soir et ce matin.

    En disant ces mots, le président Bush a touché l'aspect le plus sombre de la psyché américaine. Des citoyens américains plus réfléchis se posent la question légitime de savoir pourquoi tant de gens dans les régions pauvres haïssent l'Amérique, haïssent les Américains. Ma réponse à cela est que ce n'est pas seulement que les Américains sont riches et puissants, mais aussi qu'ils ont tendance à faire étalage de leur richesse et de leur puissance. Ils ont une tendance manifeste à considérer les bombes et les balles comme la solution aux questions sur lesquelles ils ne sont pas d'accord. Si je suis riche et brillant intellectuellement — je ne suis ni l'un ni l'autre — je n'ai pas besoin de le rappeler aux gens. Ils s'en rendront compte sans que je l'étale de façon ostentatoire. Les gens qui le montrent sont d'autant moins appréciés.

    En Russie et en Ukraine, où j'ai vécu quelques années, j'ai toujours été touché par les remarques au sujet des États-Unis d'un côté, et les remarques tout à fait favorables au sujet d'un pays dont les gens ont la chance de faire partie — le Canada. J'ai toujours un peu peur, quand on dit que le Canada est considéré comme le meilleur pays du monde, qu'on nous prête la même arrogance qu'aux Américains.

    Nous nous engageons à être le plus proche allié des Américains et, en cas de réponse de l'Afghanistan à des représailles, à devenir, c'est concevable, la cible de représailles sur la côte Ouest du Canada, à Halifax, à Montréal, voire à Ottawa.

    Honorables sénateurs, nous avons affaire à une nation indigente. Le peuple afghan est le plus pauvre parmi les pauvres et il est analphabète à 95 p. 100. En préparant notre réplique, nous devons veiller à bien définir notre mission en tant que pays; en outre, les détails de notre campagne contre le terrorisme doivent être clairs et connus de tous. Nous devons aussi veiller à ce que la stratégie à long terme, qui sera tout aussi importante que les mesures à court terme, comporte des volets économiques et éducatifs.

    L'honorable J. Michael Forrestall: Honorables sénateurs, comme tous les autres sénateurs, j'interviens avant tout pour présenter mes plus sincères condoléances aux familles et amis de ceux qui ont si tragiquement perdu la vie aux États-Unis il y a quelques jours à peine. Je leur offre toute ma sympathie et j'ajoute que les prières de ma famille les accompagnent aujourd'hui et les accompagneront tant que la paix dont rêve le sénateur Roche ne règnera pas effectivement sur la terre.

    On ne peut pas gagner seuls cette guerre, car il s'agit bien d'une guerre. On peut toutefois, par nos efforts multilatéraux, appuyer nos amis et voisins du Sud.

    J'ai trois petits-enfants et une fille qui habitent Washington et dont je n'ai pas eu de nouvelles avant le mercredi suivant l'attentat, tout simplement parce que je n'arrivais pas à les joindre. J'ai aussi des belles-soeurs qui travaillent à Manhattan, dans le quartier où la tragédie est survenue. C'est pourquoi j'ai des sentiments personnels à ce sujet et beaucoup d'empathie.

    Je remercie le leader du gouvernement au Sénat qui a présenté cette motion. J'ai écouté attentivement le débat à l'autre endroit hier à la télévision. La sincérité du premier ministre m'a ému quand il a fait appel à ses compatriotes et a promis son appui à nos alliés américains, nos amis et nos voisins. J'ai été ému hier et j'ai été ému aujourd'hui, sans doute comme tous les sénateurs, par les commentaires entendus en cette enceinte.

    Chers amis, nous sympathisons, nous appuyons le concept d'une féroce bataille contre le terrorisme et nous admettons que nous devons prendre des mesures, mais je vous soumets que nous devons être totalement honnêtes avec nous-mêmes. Nous débattons de cette motion avec le coeur bien lourd. Les gens ont peur de l'inconnu; ils veulent des réponses; ils veulent la sécurité et ils veulent être protégés. Leur sentiment est facile à comprendre car le crime fut monstrueux. Les terroristes et les États nations qui les appuient nous ont dépouillés de notre liberté et de notre sentiment de sécurité. Ils ont rejeté l'humanité avec mépris.

    La semaine dernière, on a demandé à des personnes âgées de s'abstenir de photographier les édifices du Parlement. Cette précaution est sans doute utile aux yeux de certains. Ces criminels ont-ils compromis notre liberté à ce point?

    (1610)

    Vous ne serez pas étonnés, honorables sénateurs, d'apprendre que je suis préoccupé, tout autant que vous, par les questions de la sécurité nationale et de la sûreté des transports. Nous voyons tous les choses sous des angles différents et, dans une certaine mesure, il est de notre devoir de signaler les problèmes au gouvernement du jour. Ce n'est pas le moment de laisser tomber des détails ou de laisser des questions sans réponse. Ce n'est pas le moment de nous contenter d'un «non» ou d'accepter qu'on nous réponde qu'on «s'en occupera plus tard». Cela ne suffit plus. Que cela nous plaise ou pas, nous sommes en guerre. C'est une guerre différente toutefois. Nous avons le devoir solennel de protéger la population canadienne et de venir en aide à nos alliés. Nous le devons aux populations un peu partout dans le monde, qui sont victimes du terrorisme.

    Je m'engage à soutenir le premier ministre du Canada, sachant que les gens de bonne volonté feront tout ce qu'il est possible de faire. Ce peut être peu de chose. Par exemple donner un peu d'argent à nos services policiers et militaires pour les renforcer. Ou accorder des fonds au SCRS pour améliorer sa capacité de surveillance et, par la même occasion, notre capacité de rechercher, identifier, retrouver et, au besoin, traduire en justice ceux qui se rendent coupables de tels crimes haineux contre notre société.

    Ces avions civils qui ont foncé sur le World Trade Center et le Pentagone auraient tout aussi bien pu foncer sur les édifices du Parlement canadien. Dans sa livraison d'août, la Jane's Intelligence Review soutient qu'Oussama ben Laden a des cellules au Canada. Les médias électroniques ont affirmé que le Service canadien du renseignement de sécurité surveillait cinq personnes ici, dans la capitale nationale.

    Honorables sénateurs, je crois que le gouvernement doit prendre des mesures immédiates afin d'augmenter les crédits accordés au Service canadien du renseignement de sécurité, à la GRC, à l'Agence canadienne des douanes et du revenu, à la Garde côtière canadienne et au ministère de la Défense nationale. Certains d'entre vous auront peut-être remarqué l'ordre dans lequel j'ai fait l'énumération. C'était voulu. Je ne veux pas faire la guerre. Je ne veux pas que les Canadiens fassent la guerre. Mais je veux que nous fassions tout ce qui est possible afin de protéger les citoyens. Après la prière, je pense que c'est la meilleure voie que nous pouvons suivre.

    Le gouvernement doit prendre des mesures afin d'augmenter les ressources du renseignement humain, de manière à traquer les terroristes qui menacent notre sécurité et celle de nos alliés. Il est évident que tous les pays occidentaux n'ont pas les ressources voulues au plan du renseignement humain, puisqu'ils n'ont pas réussi à mettre au jour ce complot diabolique contre l'humanité.

    Dans le passé, le gouvernement a réduit le financement du SCRS. Cela suffit. Je crois savoir que nous avons peu de ressources en renseignement humain à offrir à nos alliés. Je dois dire que nous sommes quelque peu hors contexte. Il n'en a pas toujours été ainsi, même si c'est le cas aujourd'hui. Il n'en demeure pas moins que cette situation valide les critiques concernant la contribution que le Canada est en mesure d'apporter.

    En outre, la GRC doit obtenir davantage de fonds. Nous ne devrions pas faire d'autres compressions dans nos forces policières nationales, surtout compte tenu de la situation dans laquelle nous nous trouvons.

    La disparition de Police de Ports Canada a laissé nos ports vulnérables. Les services policiers locaux accomplissent un bon travail, mais ils ne font pas le travail des policiers de ports qui avaient reçu une formation au niveau national et qui surveillaient les douanes, les activités de contrebande et les étrangers qui cherchaient à entrer illégalement dans notre pays. C'est un aspect important de la sécurité au Canada.

    Je propose, comme je le fais depuis maintenant de nombreuses années, que nous tirions un meilleur parti de nos forces policières qui ont reçu une formation au niveau national. Nous devrions doter nos ports, nos aéroports et d'autres endroits vulnérables de ces forces policières. Nous apprenons l'étendue de notre vulnérabilité grâce à nos entretiens avec des dirigeants d'aéroport et des représentants de compagnies aériennes au Comité des transports ces deux ou trois dernières années.

    Pour la première fois de ma vie, j'ai eu des appréhensions lorsque je suis monté à bord de l'avion qui m'a conduit à Ottawa ce matin. Comme vous le comprendrez, je suis devenu plus craintif. Lorsque la porte de l'avion s'est refermée, nous avions 55 minutes de retard, et personne ne nous a expliqué pourquoi.

    À mon avis, l'idée de renforcer la sécurité à bord des avions en verrouillant la porte du poste de pilotage est probablement bonne, assurément lorsque l'avion a décollé ou dès qu'il s'éloigne de l'aérogare. Cependant, je n'affectionne pas cette idée, surtout parce que les intéressés, les pilotes, ont de très graves réserves, se demandant ce qui leur arrivera en cas d'accident. Comment pourront-ils sortir de la cabine si la porte est infranchissable?

    D'autre part, je n'écarte pas à la légère, comme le fait le ministre Collenette, la suggestion de donner à des éléments de notre force policière nationale une formation spéciale d'agents de la sécurité aérienne. Il ne s'agit d'une idée nouvelle. Ce n'est pas étranger à notre pensée. Nous avons longuement et attentivement examiné cette possibilité il y a quelques années à peine, mais nous avons alors opté pour une autre solution.

    L'Agence des douanes et du revenu du Canada a besoin d'un meilleur soutien.

    Honorables sénateurs, la dernière intervention est de renforcer le secteur militaire. Le présent gouvernement a considérablement affaibli ce secteur et les Canadiens le savent. Lorsque le premier ministre affirme que nous allons faire la guerre au terrorisme, je dois demander au gouvernement avec quoi notre armée combattra.

    Les bâtiments de guerre canadiens manquent d'hélicoptères puissants. Nous aborderons cette question dans les semaines à venir. J'ose espérer que nous l'examinerons assez attentivement pour que les citoyens puissent avoir des réponses.

    La marine manque d'effectifs. À ce chapitre, elle souffre de sous-financement et ne dispose pas des ressources financières nécessaires pour faire de la formation. Comment pourrions envoyer des chasseurs F-18 dans cette région troublée ? Nous n'avons même plus de capacité de ravitaillement dans les forces armées. Nous devons nous adresser à nos voisins pour emprunter le nécessaire à cet égard. Qui plus est, l'armée est presque épuisée après les opérations de maintien de la paix dans les Balkans. Nos chars n'ont pas un blindage suffisant pour résister aux armes à main dont disposent aujourd'hui les terroristes et sont encore moins capables de combattre sur un champ de bataille moderne. Les fusils de l'artillerie sont vieux et doivent être remplacés. En fait, l'armée songe à envoyer des unités de mortier à l'artillerie pour que cette dernière joue un rôle plus substantiel. Les unités du génie sont d'une faiblesse telle qu'on y affectera vraisemblablement des unités de pionniers venant elles-mêmes de bataillons d'infanterie aux effectifs insuffisants. L'armée britannique a mis cette formule à l'essai, puis l'a abandonnée.

    Ne disposant que de neuf bataillons aux effectifs presque complets, le gouvernement envisage de constituer six bataillons et, par conséquent, d'éliminer un des trois groupes-brigades du Canada. Ce serait risible si la situation n'était pas si grave.

    (1620)

    Nous ne sommes pas en mesure de réagir rapidement. Malheureusement, le Régiment aéroporté du Canada a été dissout. Il aurait plutôt dû être restructuré. Trois personnes, un commandant strict, un sergent-major fort et un adjudant efficace, auraient suffi à le remettre sur pied. Nous ne pouvons plus compter maintenant que sur la Deuxième Force opérationnelle interarmées, et ce n'est qu'un escadron. Le gouvernement pourrait peut-être diviser cette unité en trois escadrons distincts, dont un serait chargé de la formation, l'autre du contre-terrorisme et le dernier des forces opérationnelles spéciales à l'étranger, pour nous donner un outil nous permettant de lutter contre le terrorisme.

    Nous ne pouvons pas envoyer nos véhicules de reconnaissance Coyote en Afghanistan, à supposer que nous puissions nous y rendre, parce qu'ils n'ont aucun appui-feu direct pouvant servir dans des confrontations avec des chars d'assaut. Comme je l'ai souligné, les CF-18 mettraient beaucoup de temps à se rendre jusqu'aux bases et ils seraient très vulnérables une fois sur place. Nous ne pourrons certainement pas bombarder les Talibans avec nos Sea King. Ils n'ont vraiment aucune capacité d'attaque terrestre dans la marine. Le Canada a très peu à offrir, même au niveau des renseignements. Notre lutte au terrorisme sera donc confinée à un appui restreint aux niveaux militaire, diplomatique et de renseignement, un appui très restreint, malgré les belles paroles du premier ministre et l'empressement démontré par

    M. Day pour envoyer nos troupes terrestres à l'étranger.

    Espérons qu'il n'y aura pas de problème nulle part au monde. Je ne peux m'empêcher de penser à la Corée du Nord et à l'Irak.

    Honorables sénateurs, en résumé, le gouvernement du Canada a réduit nos agences de sécurité nationale à leur plus simple expression et nous devons immédiatement prendre des mesures pour remédier à la situation. Personne n'aura quoi que ce soit à redire si le gouvernement intervient dans ce sens. Nous savons tous qu'il est risqué de ne rien faire. Nous nous en sommes rendu compte la semaine dernière.

    Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je suis désolé d'interrompre le sénateur Forrestall, mais les 15 minutes auxquelles il avait droit sont écoulées.

    Le sénateur Forrestall: Puis-je avoir la permission de continuer?

    Son Honneur le Président: Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

    Des voix: D'accord.

    Son Honneur le Président: Vous avez la permission de continuer.

    Le sénateur Forrestall: Honorables sénateurs, lançons-nous dans la mêlée avant que les autres ne nous imposent leurs règles.

    Je continuerai de prier pour les victimes de cette tragédie.

    [Français]

    L'honorable Lise Bacon: Honorables sénateurs, il y a une semaine, les États-Unis étaient la cible d'attentats terroristes d'une violence monstrueuse. Il y a une semaine, pour des milliers d'Américains, le temps a perdu son sens.

    Je tiens à exprimer ma profonde sympathie et mes plus sincères condoléances à tous ceux qui pleurent leurs disparus. J'ai aussi une pensée toute spéciale pour les Canadiens et Canadiennes qui sont du nombre des victimes, ainsi que pour leurs proches. Souhaitons que le temps apaise leur douleur. J'espère que les familles des victimes sauront entendre la voix réconfortante des Canadiens afin qu'elles puissent surmonter une épreuve aussi accablante.

    Ces attentats ont fait mal à l'Amérique et à la planète toute entière. La vie quotidienne, non seulement des Américains, mais aussi de nous tous, est atteinte. Chacun à sa manière en gardera un pénible souvenir. Pendant que les secouristes fouillent les décombres à la recherche de survivants, les Américains cherchent désespérément comment vaincre le terrorisme. Individuellement et collectivement, nous devons unir nos forces et leur prêter main-forte dans cette lutte contre le terrorisme.

    Il faut préserver la démocratie, la liberté, la diversité et le respect des droits de la personne et les valeurs qui sont chères aux Canadiens. Il est désolant d'apprendre que les attentats de la semaine dernière ont provoqué un ressentiment profond envers les Canadiens de religion musulmane et d'autres minorités. Il faut vite se ressaisir! C'est cette même hargne, cette même haine qui est à l'origine des récents événements. Ne laissons pas ces sentiments naître chez nous. C'est au-delà de cette lutte contre le terrorisme que réside le vrai combat. Cultivons l'espoir, l'amour, la vie et réfléchissons avant d'agir. Donnons-nous l'occasion de comprendre et d'analyser nos différences.

    L'heure est maintenant à la guérison. Le temps, suspendu depuis mardi dernier, commence à retrouver son sens. Le courage extraordinaire dont font preuve les secouristes, tant professionnels que bénévoles, commande que nous soyons à la hauteur. C'est de ce courage à toute épreuve dont les familles et nous tous devons nous inspirer. La lutte sera longue!

    Les Américains ont retroussé leurs manches dans leur unité. Je suis convaincue que dans cette même foulée, les Canadiens sont aussi plus solidaires que jamais.

    J'aimerais exprimer la fierté que j'ai ressentie lors du rassemblement de vendredi dernier sur la colline parlementaire. Le premier ministre a permis aux Canadiens et aux Canadiennes de manifester leur appui à nos voisins, nos amis. C'est là, je crois, où toute la force et la détermination des Canadiens se sont exprimées.

    [Traduction]

    L'honorable Donald H. Oliver: Honorables sénateurs, je suis heureux d'intervenir pour traiter de la motion dont nous sommes saisis. Les événements de la semaine dernière ont été des plus troublants. Nous, Nord-Américains, ne sommes pas habitués à voir la mort et le chaos chez nous. Nous nous étions sottement convaincus que le terrorisme était un phénomène qui se produisait ailleurs. Depuis les tristes événements de New York et Washington, les Américains ont demandé à leurs alliés et amis de tous les coins du globe de se joindre à eux pour contrer cette calamité du terrorisme, où que ce soit sur la planète. Le Canada s'est joint au groupe. Nous nous sommes engagés, en notre qualité de nation, à appuyer nos amis américains. Nous sommes engagés à faire la guerre à la fois moralement, politiquement et, très certainement, économiquement.

    La question que nous devons nous poser, honorables sénateurs, est la suivante: qu'est-ce exactement que la guerre au XXIe siècle? Il est fort probable que ce sera un type de guerre jamais vu auparavant. Le Canada est-il préparé à faire ce genre de guerre?

    Lorsqu'on parle de combattre le terrorisme, à quelles armes songeons-nous? Certainement pas à des armes conventionnelles comme les tanks et les missiles. Dans le cas de l'Afghanistan, les Russes ont appris, à leur grand désarroi, qu'il était vain d'avoir recours à de telles armes sur un territoire semblable. Ce sera peut-être un théâtre de guerre comme celui du Viêtnam. Les frappes aériennes ne sont probablement pas réalistes contre notre ennemi terroriste.

    Les terroristes fonctionnent dans un monde clandestin, bien éloigné des préoccupations et des conceptions du Canadien moyen. Ils travaillent en réseaux de groupes indépendants et hautement secrets. Ils communiquent par téléphones cellulaires, Internet, satellite et courriels. Avons-nous les ressources, les connaissances ou la volonté de nous attaquer à un tel ennemi? Pourrions-nous nous défendre si ces gens décidaient de s'en prendre à nous en représailles?

    Oussama ben Laden est devenu la cible de la colère des Américains. Est-il le coupable... le seul coupable? Jusqu'à maintenant, les preuves sont minces. Et s'il est responsable dans une certaine mesure, comment le combattra-t-on? On dit qu'il change de domicile deux fois par jour. Il n'a pas de magnifique quartier général. Il voyage simplement et vit dans l'ombre. Et pourtant, on dit que beaucoup de ses partisans sont très instruits et ont beaucoup voyagé. Ils ont maîtrisé les subtilités de l'Internet et du monde de la technologie de pointe. Ils ne sont certes pas les paysans en guenilles ni les montagnards ignorants qu'on dépeint si souvent. Ils fonctionnent à partir d'un réseau de cellules terroristes composées de cinq à dix personnes chacune. Ils se servent de techniques de communication complexes et raffinées. Ils fonctionnent à partir d'au moins 34 pays différents.

    Le Canada est-il prêt à combattre un tel ennemi, un ennemi en grande partie invisible? Est-il prêt à frapper à mort une population en majorité sans défense?

    (1630)

    À part prendre les armes, que peut faire le Canada pour résoudre le problème du terrorisme? Faut-il prévenir le terrorisme? Certes. Qu'adviendra-t-il alors des droits et des valeurs que nous connaissons et chérissons conformément à la Charte canadienne des droits et libertés? Comment concilier les deux choses? Pourra-t-on jamais concilier les deux?

    Comme notre collègue, le sénateur Kelleher, l'a signalé dans un article publié récemment par le Toronto Star, à l'instar de l'attaque tragique contre l'appareil d'Air India, ce qui s'est produit le 11 septembre aux États-Unis témoigne d'un échec total du renseignement de sécurité. Ici, au Canada, les activités du renseignement de sécurité sont pour le moins limitées. En fait, il est spécifiquement interdit au SCRS de recueillir des renseignements à l'étranger. Comment pouvons-nous espérer nous protéger contre des représailles lorsque notre capacité de découvrir des choses à propos de nos ennemis est aussi limitée, sinon inexistante?

    Pas plus tard qu'en février dernier, des terroristes avaient planifié de lancer une attaque au sarin contre le Parlement européen. Si nous participons à la guerre américaine contre le terrorisme, risquons-nous de devenir la cible de contre-attaques chimiques ou biologiques, une possibilité qu'a évoquée le premier ministre Blair et d'autres leaders mondiaux? En tant que parlementaires, sommes-nous prêts à assumer une telle responsabilité? Notre gouvernement n'a encore pris aucune mesure pour nous préparer aux conséquences funestes d'une possible guerre chimique.

    Personnellement, je crois que, malheureusement, nous sommes mal préparés pour livrer bataille à qui que ce soit. Or, il est question ici d'une lutte contre un groupe d'individus insaisissables et fortement motivés qui hésitent peu à attaquer et à tuer des milliers de civils innocents. Leurs valeurs morales sont différentes des nôtres.

    Comme un commentateur l'a rappelé récemment, nous sommes démocrates, mais pas eux. Nous respectons la vie humaine, mais pas eux. Nous avons des valeurs essentiellement morales, mais pas eux. À mesure que nous nous pencherons sur ces questions, nous devrons toujours avoir en tête nos valeurs fondamentales, mais, en même temps, nous devrons chercher à comprendre la nature de l'ennemi et agir en conséquence.

    À l'heure actuelle, le dilemme moral des Canadiens est clair. Nous sommes engagés à venir en aide aux Américains, nos amis et voisins. Je n'y vois rien de mal. Ce sont nos amis et nous devons les aider, comme ils nous aideraient dans des circonstances similaires. Mais sommes-nous prêts à affronter un ennemi insaisissable, qui vit dans un univers incertain de faux passeports, de fausses identités, de meurtres, d'extorsion et de terreur? Quelles sont nos options? Si une action militaire n'est pas une option réaliste, que pouvons-nous faire pour aider nos voisins, tout en posant un geste pratique pour mettre un terme au carnage terrible que le terrorisme nous impose?

    Je suis d'accord avec le premier ministre britannique Tony Blair, qui a dit:

    Il nous faut donc examiner les lois sur l'extradition nationales et internationales, ainsi que les mécanismes du droit international, le mode de financement de ces groupes terroristes et leurs méthodes de blanchiment d'argent, établir des liens entre la terreur et le crime, et planifier une riposte efficace qui tiendra la route sur le plan international.

    Honorables sénateurs, c'est certainement un rôle adéquat pour le Canada.

    En conclusion, j'ai reçu vendredi un message par télécopieur d'un ami qui travaille dans le milieu des affaires à Dallas, au Texas. Je voudrais partager quelques-unes de ses réflexions avec les honorables sénateurs. Il a dit ceci:

    Pour l'instant, personne d'entre nous ne peut connaître les répercussions que les événements de ce jour-là auront sur nos vies, nos familles, nos carrières, l'économie, notre pays et le monde entier. Nous savons toutefois que ceux qui ont perdu des êtres chers dans cet attentat brutal et meurtrier qui est l'expression d'une rage insensée sont dévastés et ont besoin de nos prières.

    Question: Que devrions-nous faire? Tout d'abord, remercier Dieu que nous et, espérons-le, les membres de notre famille soyons parmi les victimes indirectes, et non pas les victimes directes de cet acte odieux. Ensuite, verser un don à la Croix-Rouge ou à d'autres organismes de secours qui aident les familles des victimes de l'attentat. Troisièmement, réagir à la tragédie en réorientant notre vie et en renouvelant notre engagement à être une meilleure personne et à faire davantage pour aider les autres. Il convient de rappeler qu'on peut avoir tout dans la vie simplement en aidant suffisamment les autres à avoir ce qu'ils veulent. Enfin, avoir à coeur ce que Carl Bard a dit: «Même s'il est impossible de revenir en arrière et de repartir entièrement à neuf, on peut partir du moment présent et se diriger vers une toute nouvelle conclusion.» Le moment est maintenant tout indiqué pour faire cela.

    [Français]

    L'honorable Serge Joyal: Honorables sénateurs, je voudrais joindre ma voix à celle des honorables sénateurs qui ont exprimé leur profonde tristesse et leur sympathie aux familles des victimes et plus particulièrement aux familles des Canadiens qui ont perdu la vie lors des tragiques événements du 11 septembre 2001.

    [Traduction]

    Nous sommes unanimes à condamner ces actes odieusement malveillants perpétrés contre le monde civilisé et les valeurs qui sont les fondements mêmes de notre société libre et démocratique. La communauté internationale ne saurait tolérer les activités de groupes terroristes qui orchestrent minutieusement le meurtre délibéré de civils innocents. Ceux qui sont les auteurs de ces attaques terroristes et ceux qui ont contribué à les faciliter doivent répondre de leurs crimes devant les tribunaux. L'ordre mondial ne peut subsister si ces attaques restent impunies et si elles ne sont pas enrayées.

    Il est essentiel, honorables sénateurs, que les deux Chambres du Parlement du Canada, la Chambre des communes et le Sénat, ainsi que la population, les régions et les minorités de notre pays prennent ensemble la parole et condamnent farouchement cette violation odieuse de nos principes fondamentaux. Ils doivent toutefois réfléchir aussi à la décision du gouvernement de coopérer avec les Nations Unies et nos alliés de l'OTAN afin d'éliminer le terrorisme international.

    C'est la responsabilité du Parlement, le droit démocratique du peuple canadien d'examiner les méthodes proposées pour atteindre cet objectif. Le Parlement dans son ensemble, et le Sénat en particulier, ont des points de vue dont le gouvernement devrait tenir compte, notamment lorsqu'il s'agit d'une question aussi capitale que la défense de notre pays et notre sécurité nationale. Cette importante fonction du Parlement figure d'ailleurs dans la Loi sur la défense nationale. Qui plus est, en janvier 1999, le Comité sénatorial spécial de la sécurité et du renseignement de sécurité, présidé par l'ancien sénateur William Kelly et le sénateur Bryden, a publié un rapport global. Ce dernier faisait suite à deux rapports spéciaux sur des questions liées au terrorisme et rendus publics en 1987 et en 1989. Il renfermait 33 recommandations particulières et toujours très pertinentes, la recommandation 28 soulignant le rôle du Parlement. Sur pareilles questions, le Sénat dispose de l'indépendance, de la continuité et des perspectives à long terme qui sont essentielles à l'exercice efficace de notre fonction de parlementaires. L'actuel Comité sénatorial de la défense et de la sécurité poursuivra certainement ce travail d'une importance vitale.

    Honorables sénateurs, il y a trois points que je voudrais souligner aujourd'hui. D'abord, le terrorisme s'attaque directement au fondement même de notre ordre politique démocratique et libre. Il cherche à détruire le principe de la primauté du droit. Les terroristes tentent de perturber le cours pacifique de la vie en société ainsi que le tissu social de nos institutions démocratiques, qui sont fondés sur le respect des droits humains et la résolution pacifique des différends.

    Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Canada et la communauté internationale s'efforcent de construire un ordre mondial pacifique dans le cadre duquel les États ne recourent pas à la violence pour régler leurs différends. Ces efforts se fondent sur le respect des principes énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et d'autres conventions internationales en matière de droits humains. Les tribunaux internationaux se sont engagés à poursuivre ceux qui commettent des crimes contre l'humanité. Le Canada a été l'un des principaux maîtres d'oeuvre d'initiatives visant à étendre la primauté du droit à l'échelle internationale, d'abord en signant les 12 conventions internationales contre le terrorisme, puis en faisant la promotion d'initiatives importantes, telles que le traité de Rome de 1998 établissant la Cour pénale internationale.

    (1640)

    Le défaut de placer le terrorisme sous la compétence de la CPI, à cause de l'incapacité des gouvernements participants à s'entendre sur la définition du terrorisme, est une grave lacune. Les événements tragiques du 11 septembre démontrent que l'inclusion du terrorisme dans le traité de Rome doit constituer une priorité pour le gouvernement canadien et ses alliés.

    Le Canada a fixé dans notre Charte des droits et libertés notre foi dans la démocratie et les droits de la personne. De fait, certains de ces droits, dont ceux de voter et d'entrer ou de rester au pays, ou encore d'en sortir, nous apparaissent à ce point fondamentaux que nous les avons même soustraits aux dispositions de l'article 33, la clause nonobstant. Ces droits ne pourront jamais être abrogés, ni par le Parlement du Canada ni par une législature provinciale.

    Le regretté Pierre-Elliott Trudeau décrivait ainsi la grande force de la démocratie:

    La démocratie est supérieure aux autres systèmes politiques parce qu'elle sollicite le consentement exprès des gens et évite ainsi la nécessité de changements radicaux. À chaque élection, en fait, les gens affirment leur liberté de choix en décidant du gouvernement auquel ils consentent à obéir.

    Les terroristes, qu'il s'agisse des fondamentalistes islamiques, des séparatistes basques, des groupes paramilitaires irlandais, des milices extrémistes américaines, et j'en passe, rejettent la voie démocratique pacifique en faveur de la violence, de la peur et du chaos. Ils cherchent à détruire notre mode de vie. Malgré nos différences légitimes, il est impératif que le Canada travaille en étroite collaboration avec ses alliés dans la communauté internationale afin de préserver la primauté du droit. Jeffrey Simpson écrivait ceci dans le Globe and Mail vendredi dernier à propos de notre allié et voisin le plus proche, les États-Unis:

    Nous ne sommes pas d'accord sur tout avec les États-Unis. Nous ne voyons pas toujours les choses du même oeil, mais ces différences sont bien pâles en comparaison de ce que nous avons en commun. Cela dépasse la géographie, les intérêts commerciaux et même les liens de parenté et d'amitié qui nous unissent. Nous partageons les mêmes croyances fondamentales, la même foi dans la liberté, la démocratie et les valeurs qui les soutiennent. Les institutions des deux pays qui expriment ces valeurs démocratiques et protègent la liberté sont différentes, mais leur engagement est le même.

    Nos convictions démocratiques communes et les principes du droit international que nous chérissons sont attaqués par le terrorisme et nous devons les défendre.

    Voilà qui m'amène à mon deuxième point. Dans notre lutte contre le terrorisme, nous devons être fidèles à nos convictions, comme pays démocratique distinct. Nous ne pouvons laisser la colère et la peur nous pousser à prendre des initiatives précipitées, car nous risquerions de détruire les valeurs que nous cherchons à protéger. En l'absence d'une réflexion sérieuse et d'une analyse approfondie, les solutions toutes faites reposant sur des hypothèses non vérifiées ne renforceront pas notre sécurité. Elles risquent même de compromettre les principes qui ont fait du Canada une terre d'espoir, où règnent l'égalité et la diversité culturelle. Déjà, nous voyons des gens mettre au compte de l'islam, mouvement spirituel pacifique ayant une riche tradition culturelle qui a été un apport inestimable pour l'humanité, les attaques terroristes qui violent les principes centraux de l'islam et qui sont condamnés par l'écrasante majorité des musulmans.

    Le terrorisme n'est pas une prescription du Coran. La liberté de religion est un droit fondamental, comme la liberté de pensée et d'association. Dans notre monde démocratique, aucune religion n'a un statut supérieur, au plan politique, qui lui donnerait le droit de s'imposer à des citoyens libres. Notre dignité d'êtres humains donne à tous le droit d'exercer leur libre volonté et de faire leurs propres choix. La violence et la terreur sont une atteinte à la dignité humaine.

    Certains insinuent que des contrôles peu rigoureux à nos frontières et nos politiques trop généreuses en matière d'asile et d'immigration ont fait de notre pays un refuge sûr pour les terroristes. D'autres préconisent la création d'une frontière intégrée avec les États-Unis, sans tenir compte des nombreuses différences qui distinguent nos pays.

    Comme l'honorable Elinor Caplan, ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, l'a déclaré le 4 septembre 2001, tel que le rapportait le National Post:

    Nous avons des constitutions différentes. Nous avons une Charte des droits et libertés, ce qu'ils n'ont pas. Je crois qu'il est vraiment important que les gens se rendent compte que nous sommes Canadiens.

    Honorables sénateurs, il devrait être possible de mener une lutte plus efficace contre les infiltrations de terroristes à la frontière sans compromettre la souveraineté de nos deux pays. Nous nous consolons dans le fait que, depuis l'attaque, de nombreux gouvernements se sont dit en faveur de cette réponse prudente et bien équilibrée. Ce genre de comportement, au lieu d'une folle ruée vers le piétinement des libertés civiles et la réduction de la souveraineté, est digne d'une société démocratique mature et responsable comme la nôtre.

    Oui, nous sommes Canadiens, et cela devrait se refléter dans les initiatives que nous prenons pour lutter contre le terrorisme. Un retour à l'approche consistant à tirer sur tout ce qui bouge ne serait pas, à mon avis, une façon légitime d'inspirer le respect pour ce que nous considérons comme étant les normes fondamentales de l'ordre juridique. Une telle logique ne peut qu'exacerber la violence, la vengeance, la méfiance et l'attitude de la loi de la jungle que nous avons essayé d'éliminer de l'arsenal du monde libre.

    Le Canada est libre de définir lui-même les mesures qu'il juge appropriées pour combattre le terrorisme. L'article 5 du traité de l'OTAN prévoit que chaque État membre:

    [...] assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d'accord avec les autres parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée [...]

    Autrement dit, le Canada a la responsabilité de participer à toute action commune, mais peut déterminer lui-même le degré de sa contribution au-delà de ses engagements existants à l'égard du maintien et du respect des valeurs canadiennes.

    Le Canada est entièrement maître de ses décisions concernant sa contribution à la lutte contre le terrorisme. Au fil des années, le premier ministre Jean Chrétien a souvent réclamé de façon très précise des mesures internationales pour lutter contre le terrorisme. Le Canada est convaincu que la collaboration et la coordination internationales sont nécessaires, et nous travaillons avec les pays participant aux sommets économiques depuis plus de 20 ans pour contrer le terrorisme.

    Au Sommet du G-7 qui a eu lieu à Halifax en 1995, le Canada, à l'initiative du premier ministre Chrétien, a convaincu ses partenaires de tenir une réunion ministérielle sur le terrorisme. La réunion a eu lieu à Ottawa en décembre 1995 en partenariat avec les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies et la présidence de l'Union européenne.

    Les ministres présents à la réunion d'Ottawa en 1995 ont approuvé un document connu sous le nom de «Déclaration d'Ottawa», qui contenait un plan d'action en dix points pour lutter contre le terrorisme international. Parmi les principaux points, je citerai le point 4, qui disait ceci:

    Mettre en place des mesures pour prévenir l'utilisation par les terroristes de matières nucléaires, biologiques et chimiques;

    Le point 7 disait ceci:

    Renforcer la coopération dans la lutte contre la piraterie aérienne, maritime et autre.

    (1650)

    Depuis, le Canada participe activement à des rencontres internationales à la poursuite des objectifs fixés par la «Déclaration d'Ottawa». Lors du sommet du G-7 tenu en France deux ans plus tard, en 1997, on a remis aux membres un rapport sur les efforts déployés pour lutter contre le terrorisme et, depuis, la question est inscrite de manière permanente à l'ordre du jour des sommets, toujours avec l'appui du Canada et à son initiative. C'est, à notre avis, l'un des nombreux forums efficaces où la mise en oeuvre de mesures supplémentaires devrait être débattue et décidée conjointement.

    Le Canada s'est toujours pleinement acquitté de ses responsabilités envers le G-7 et c'est au sein de cette organisation que nos contributions à la lutte contre le terrorisme, en coopération avec nos partenaires du monde libre les plus proches, pourraient être le plus efficaces.

    Son Honneur le Président: Sénateur Joyal, je suis au regret de vous dire que vous êtes à court de temps.

    Le sénateur Joyal: Il me reste deux pages.

    Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, la permission est-elle accordée au sénateur Joyal de continuer?

    Des voix: D'accord.

    Son Honneur le Président: Sénateur Joyal, vous pouvez continuer.

    Le sénateur Joyal: Je vous remercie, honorables sénateurs.

    Mon troisième et dernier point, honorables sénateurs, est que lorsqu'un pays et la vie de ses citoyens sont menacés par des terroristes, il n'est pas sage d'écouter les conseils de la peur, de l'agression et de la vengeance. Leur emprise ne nous aidera pas à combattre le terrorisme de manière efficace. Le terrorisme n'est que secret, noirceur, subversion, hypocrisie et supercherie. Par conséquent, on ne peut facilement lui opposer des tanks, des missiles et des bombes. Ce sont plutôt les enquêtes discrètes et minutieuses demandant la participation coordonnée de nombreux organismes gouvernementaux qui sont le plus à même de produire des résultats efficaces. C'est un processus long, lent et laborieux, mais en dépit de notre désir compréhensible de procéder à des représailles rapides, nous devons accepter que ce n'est pas ce qu'il y a de plus efficace.

    La voix démocratique du Parlement canadien demeure l'ultime et meilleur rempart pour protéger nos droits et libertés en ces temps incertains qui exigent patience, coopération et un véritable esprit patriotique. La crise actuelle est une profonde épreuve pour nos institutions démocratiques. Jusqu'à quel point sommes-nous prêts à sacrifier l'exercice de nos libertés civiles et la souveraineté de notre pays afin de maintenir un degré acceptable de sécurité?

    Le Canada doit se tenir aux côtés de ces alliés pour traduire en justice les personnes responsables de ce massacre insensé d'innocents et pour combattre cette plaie qu'est pour le monde le terrorisme international. Ce faisant, toutefois, nous devons voir à la protection des droits et des libertés fondamentales de tous les Canadiens ainsi que des principes démocratiques sur lesquels repose notre pays et que nous partageons intimement avec nos alliés les plus proches, nos sympathiques voisins américains.

    L'honorable Gerald J. Comeau: Honorables sénateurs, plusieurs de mes compatriotes néo-écossais m'ont demandé d'adresser leurs sincères condoléances aux familles et amis des victimes des terribles événements qui se sont produits la semaine dernière aux États-Unis. Les gens de ma région sont, comme tous les gens civilisés, choqués et attristés. Ceux à qui j'ai parlé n'ont pu trouver de mots adéquats pour décrire le sentiment d'horreur et de dégoût qu'ils ont ressenti face au massacre massif d'hommes, de femmes et d'enfants atteints alors qu'ils se trouvaient sur leur lieu de travail, en voyage ou en train de se divertir.

    J'ai lu et relu dans les médias, comme j'ai entendu certains le dire ici cet après-midi, que nous devrions concentrer notre attention sur les causes profondes de la violence. À mon avis, la pauvreté et les massacres sont deux choses entièrement différentes, deux problèmes entièrement différents. Nous ne pouvons pas tomber dans le piège, nous ne devons pas permettre que l'on invoque d'anciens griefs, légitimes ou non, pour justifier la violence. Nous ne pouvons pas avoir de sympathie pour les terroristes. Ce ne sont pas des victimes. Certes, nous devons essayer par tous les moyens de faire de ce monde un monde où il fait bon vivre, mais le terrorisme et la réparation des injustices passées sont deux questions entièrement différentes qui exigent des réponses entièrement différentes.

    Notre réponse doit être claire, honorables sénateurs. La violence ne sera ni tolérée ni excusée.

    L'honorable Nicholas W. Taylor: Honorables sénateurs, je ne serai pas aussi bref que le sénateur. Je souhaiterais pouvoir l'être.

    Pour commencer, je voudrais adresser mes condoléances aux personnes touchées, et appuyer la motion, sachant parfaitement que pas grand-chose de ce que nous disons ou faisons en ce moment n'apaisera le sentiment de perte que beaucoup de gens doivent ressentir. J'espère qu'ils trouveront une certaine consolation dans les messages de condoléances que leur adressent des millions de gens de par le monde.

    Certains ont mentionné où ils se trouvaient quand ils ont pris connaissance de ces événements tragiques. J'étais en Afrique du Nord, où je représentais le Canada à une rencontre réunissant 12 États, des pays arabes ainsi qu'Israël et l'Iran, dans le but de tenter de trouver une solution au problème des réfugiés palestiniens. Il va de soi que cet incident m'a touché de très près, particulièrement en raison de spéculations concernant les Arabes. Nous avons suspendu les réunions ce jour-là, mais nous avons ensuite poursuivi nos travaux pendant trois jours. Je dois reconnaître que nous avons accompli des progrès, mais je ne pense pas que vous appreniez dans les journaux que ce fut une grande percée. Toutefois, j'étais heureux de constater que des pays comme l'Algérie et Israël peuvent s'entendre sur certains points.

    Pour le reste, j'adopte une attitude philosophe. En règle générale, dans notre société moderne, il arrive trop souvent que l'on croit que la fin justifie les moyens. Les terroristes ont poussé cette logique jusqu'à son extrême limite. Le terrorisme ne se limite certes pas au Moyen-Orient. De nombreuses personnes pensent encore que ces actions auraient pu être orchestrées par des Américains ou des Allemands ayant embauché ces volontaires on ne peut plus empressés appartenant à d'autres cellules.

    Bref, si nous voulons mettre fin à l'enfer du terrorisme, nous devons nous attaquer à la racine même du problème. Si nous étudions l'histoire, nous constatons que le terrorisme est présent et a été présent en maints endroits. Certains de mes propres ancêtres ont même tenté de faire sauter la Chambre des communes il y a trois ou quatre cents ans pour des motifs religieux et, à ce jour, on continue de les brûler en effigie dans le cadre des feux de joie marquant la journée de Guy Fawkes. Il y a eu l'incendie d'Atlanta, occasion où le Nord a cherché à montrer au Sud ce qu'était vraiment la guerre civile. Nous pouvons remonter aux zélotes des premiers temps d'Israël. Plus récemment, en Israël, juste après la guerre, les Israéliens ont recouru aux mêmes activités terroristes auxquelles l'OLP fait maintenant appel pour obtenir leur liberté. Ils ont fait exploser l'hôtel Roi David, où logeaient des militaires ainsi que des hommes et des femmes; et, sans doute pire que toute autre chose, ils ont abattu à la mitrailleuse la mission sans armes de l'ONU du comte Folke Bernadotte, et on prétend que Menahem Begin, qui devait ultérieurement devenir premier ministre d'Israël, était un des membres du groupe.

    En réalité, je souligne que l'écart est mince entre un terroriste — un guérillero — et un patriote et qu'il dépend souvent de celui qui rédige l'histoire.

    (1700)

    Dans le cas présent, tâchons d'analyser les causes à l'origine de ce qui se passe au Moyen-Orient ou de l'explosion d'Oklahoma City ou encore des manifestations d'anarchistes lors des sommets sur le commerce mondial.

    Quand j'étais dans les affaires, j'ai travaillé longtemps au Moyen-Orient, en Iran, en Israël et en Égypte, et j'ai observé les deux camps. Ayant représenté le Canada à trois assemblées de l'IPO — les pays arabes sont habituellement appuyés par les pays africains à l'Union interparlementaire —, je peux dire aux honorables sénateurs que, tant que l'on n'a pas vécu dans ces régions, il y a un certain nombre de choses qui nous échappent.

    Premièrement, l'Amérique du Nord bénéficie d'un accord de libre-échange, l'ALENA. Puis, il y a l'Union européenne, sans oublier les pays d'Asie, dont la Corée et le Japon. Les musulmans n'ont pas d'accord commercial ou de zone commerciale à eux. Ils ont pour ainsi dire le nez collé à la vitre, c'est du moins le cas de beaucoup de gens, et il est aisé de voir aujourd'hui, grâce à la télévision internationale, que le niveau de vie en Europe de l'Ouest, au Canada et aux États-Unis est tellement supérieur au leur qu'ils ont tout lieu d'exiger des explications. Quand ils essaient d'accéder à une zone commerciale, leurs marchandises se butent à des barrières tarifaires. J'étais en Afrique à l'époque où les exploitants agricoles faisaient faillite dans la région du Sahara parce que nous faisions don de notre blé. Mais cela ne nous a pas inquiétés outre mesure. Nous déplorons que les Américains écoulent leur blé à meilleur prix que nous, mais nous faisions don du nôtre, ce qui avait eu pour effet de faire couler les agriculteurs africains. C'était en Afrique du Nord, région musulmane.

    Si l'on analyse le terrorisme d'un point de vue économique, on peut relever des similitudes. La pauvreté en Irlande a grandement favorisé l'essor de l'IRA, l'Armée républicaine irlandaise. L'IRA a pu se rendre à Boston afin de réunir des fonds pour continuer ses opérations, mais dès que les conditions économiques en Irlande du sud ont été meilleures que dans le nord, les emplois se sont multipliés et la violence a semblé s'atténuer. D'aucuns attribuent cela au fait que les Anglais étaient de meilleurs diplomates. Selon moi, c'est plutôt le résultat de conditions économiques plus favorables.

    Partout où le séparatisme montre sa sale tête, c'est qu'il a des racines dans une communauté prête à le soutenir financièrement ou du moins à l'abriter ou à le couvrir. Nous devons donc faire en sorte que ces gens n'abritent ni ne couvrent de terroristes. Nous voulons qu'ils les renient.

    J'utilise pas mal souvent les mots «lui » et « il », mais je ne devrais pas, car, depuis Patti Hearst, nous savons bien qu'il y a aussi des femmes terroristes.

    Nous pouvons discuter de ce qui arrive à ceux qui ont l'audace de contester le monde occidental. Il n'y a qu'à regarder l'OTAN. On ne parle pas de terrorisme quand on largue des bombes qui tuent des femmes et des hommes innocents, qui font sauter des ponts et ainsi de suite. On parle d'intervention militaire. On ne parlait pas de terrorisme non plus quand on a brûlé Mai Lai à coup de lance-flammes et aspergé la jungle vietnamienne avec des agents défoliants. C'était une intervention militaire pour enrayer le communisme.

    De l'extérieur, les gens disent que nous avons un code de valeurs pour nous-mêmes et un autre pour eux. Le terrorisme, qu'on actionne le canon d'un char d'assaut ou qu'on lance un aéronef sur un édifice, tue des innocents. Nous devons trouver des moyens de faire savoir à ces personnes qu'elles ont leur place dans le nouveau monde que nous sommes en train de bâtir, qu'elles sont des partenaires sur la planète. De les convaincre que nous, les occidentaux, ne voulons pas les asservir et les mettre à notre service pour le seul plaisir de maintenir nos normes occidentales.

    Nous avons une idée de cela lorsqu'il y a des manifestations aux conférences du G-8. La même logique va continuer à alimenter les terroristes. Bon nombre d'entre eux croient que nous ne nous soucions pas d'eux. Ce qui les intéresse, c'est d'avoir un endroit pour obtenir de l'argent et un endroit pour se cacher. Ils n'obtiendront pas cela de leur communauté si elle estime faire partie du Canada, qu'elle a un rôle à y jouer et qu'elle y est la bienvenue.

    Par exemple, pour ne faire mention que de l'aspect économique — parlons simplement des médicaments. J'ai eu la chance d'accompagner le Dr Keith Martin et de visiter nombre de cliniques. J'ai fait un suivi pour vérifier s'il avait raison — et il avait raison — d'affirmer que près de 90 p. 100 des médicaments brevetés au cours des 50 dernières années étaient utilisés en Amérique du Nord et en Europe. Or, nous ne dépensons que très peu pour éradiquer les maladies en Afrique et au Moyen-Orient. Lorsqu'il s'agit de la maladie que nous avons en commun, en l'occurrence le sida, nous ne leur permettons même pas de fabriquer des médicaments génériques. Lorsque l'Afrique du Sud a tenté de fabriquer des médicaments génériques, à un cinquantième du coût habituel, pour lutter contre le sida, on a menacé d'imposer des sanctions économiques. Les États-Unis sont spécialistes de l'imposition des sanctions économiques, qui leur servent d'ailleurs à faire marcher les gens comme ils l'entendent, mais ne recourent jamais aux sanctions à l'égard des pays vendeurs de pétrole dont ils en ont tant besoin. Même l'Irak vend présentement plus de pétrole qu'avant les sanctions. La plupart des gens ne se rendent pas compte de cela.

    Il y avait la question des médicaments. l'Occident n'a pas fait d'effort pour aider le monde musulman et les populations pauvres de l'Afrique à obtenir les médicaments qu'il leur faut.

    Enfin, un agronome m'a affirmé que la mise au point de nouveaux types de blé, de maïs, de pois et de pommes de terre dans des climats tempérés avait progressé à un rythme accéléré au cours des 50 dernières années. Or, les sommes consenties pour soutenir la culture fruitière dans les pays tropicaux, notamment le plantain et le manioc, sont au même niveau qu'il y a 50 ans.

    Autrement dit, il y a là-bas une formidable masse de gens. Par le truchement de la télévision, on a pu constater qu'ils ne font pas partie du monde. C'est donc un terrain fertile pour le terrorisme.

    En plus de demander à El Al de nous enseigner comment assurer la sécurité de notre transport aérien et d'implanter des mesures de sécurité normales, je crois qu'on devrait adopter une optique à long terme et songer à rapatrier ces gens dans la communauté humaine de la planète, si on peut employer ce terme. J'espère tout simplement que nos interventions ne seront pas motivées par la vengeance. La vengeance est une mauvaise conseillère quelles que soient les circonstances. Golda Meir a dit un jour que si on applique la loi du talion on se retrouve avec une bande d'aveugles et d'édentés. La même chose s'applique dans le cas présent. Les deux parties seraient perdantes. Golda Meir était fort sage.

    Enfin, s'il doit y avoir une guerre, que ce soit une guerre contre la pauvreté, l'ignorance et la faim.

    (1710)

    L'honorable A. Raynell Andreychuk: Honorables sénateurs, j'insiste sur l'importance de cette motion et sur l'occasion qu'elle nous offre à tous de demander aux Canadiens de se sentir unis par le truchement des deux Chambres de leur Parlement.

    J'ajoute ma voix au concert de condoléances offertes au peuple américain et aux familles endeuillées. Cette atrocité a frappé des familles canadiennes, américaines et des familles de plusieurs autres nations.

    Nous admirons la résistance des travailleurs, des bénévoles et des membres des familles qui attendent et surveillent les travaux sans savoir s'il reste un véritable espoir après autant de temps.

    Cette motion nous donne l'occasion de faire état de notre admiration pour l'administration et les politiciens, à tous les paliers de gouvernement des États-Unis, qui se serrent les coudes dans leur malheur et s'engagent fermement à consolider leur pays en surmontant les difficultés de cette tragédie.

    Le terrorisme n'est pas une chose nouvelle. À travers les âges il a toujours comporté deux volets, la force et la violence. Ce qui est nouveau aujourd'hui, c'est que la terreur a frappé à nos portes. On croyait avoir tout vu; nous pensions ne pas pouvoir être davantage étonnés, abasourdis ou horrifiés après les événements de la Seconde Guerre mondiale et la perfidie constatée aux quatre coins de la planète, au Moyen-Orient, en Irlande du Nord, en Bosnie, au Rwanda, en Sierra Leone, en Somalie, en Ouganda, au Kenya, en Tanzanie et oui, même en Oklahoma. Nous nous étions habitués à penser que ces choses pouvaient se produire, mais à distance. Le 11 septembre nous a prouvé que notre univers est bien petit, comme d'autres sénateurs l'ont déjà dit.

    Nous sommes fiers de voir que les Canadiens appuient unanimement nos amis et alliés américains. Au cours des derniers mois, nous avons eu la chance, ici au Sénat, de souligner ce qui nous différencie des États-Unis, mais nous nous rendons vite compte que nous partageons avec eux des valeurs fondamentales. Espérons que nous ne perdrons pas cela de vue au cours des années à venir.

    J'ai eu la chance de siéger au Comité sénatorial spécial sur la sécurité et le renseignement, qui a remis son rapport en janvier 1999. J'ai été rassurée en relisant ce rapport. Le comité a entrepris son étude en 1998 lorsque le sénateur Kelly a déposé une motion visant à charger un comité spécial d'entendre des témoignages et d'étudier des cas portant sur la menace posée par le terrorisme au Canada ainsi que d'entendre des témoignages sur les activités de contre-terrorisme du gouvernement du Canada. Il importe de souligner que le comité a entendu 97 témoins, dont la plupart se penchaient dans leur travail sur les questions de terrorisme au Canada et ailleurs. Le terrorisme est loin d'être un dossier oublié pour ces gens.

    J'espère que tous les sénateurs et tous les Canadiens prendront le temps de lire ce rapport. Il portait sur le terrorisme et ses conséquences pour les Canadiens. Il est assez étonnant de lire les conclusions du comité à la lumière des événements survenus le 11 septembre dernier. On ne peut que constater leur pertinence.

    Soit dit en passant, c'était le troisième rapport sénatorial de cette nature. Il n'existe pas de comité de surveillance à la Chambre des communes. Aucun mécanisme ne garantit l'étude de cette question de défense et de sécurité au Parlement. J'ai été rassurée que le Sénat produise un rapport aussi pertinent. C'est un fait important à signaler dans nos fréquentes discussions sur la pertinence du Sénat. Depuis huit ans que je siège au Sénat, ce rapport est l'un des plus importants travaux que nous ayons entrepris, même si, dans cette enceinte, nous n'avons pas forcément pris conscience de toute son importance avant aujourd'hui.

    Je tiens à souligner certaines de nos constatations aux Canadiens. Les services de contre-espionnage et de renseignement au Canada ont participé activement à la définition des problèmes auxquels le Canada et le monde démocratique font face. Les Canadiens doivent toutefois se garder d'une excessive complaisance, en supposant à tort que nous ne pourrions pas être la cible du terrorisme. Nous avons abordé avec trop de simplisme notre situation propre et le terrorisme dans le monde d'aujourd'hui.

    Le temps est venu de remettre en question notre complaisance et de prendre conscience de la réalité du terrorisme. Permettez-moi de citer un passage assez prophétique de notre rapport, à la page 17:

    Auparavant, le comportement normal pour les groupes terroristes était d'annoncer leurs intentions et de s'empresser de revendiquer leurs attentats. De cette façon, leur existence et leurs objectifs jouissaient de la plus grande publicité possible.

    La nouvelle tendance est de ne plus assumer la responsabilité des actes terroristes: détruire, tuer ou blesser les cibles suffisent à promouvoir la cause...

    Cette tendance à ne plus assumer de responsabilité rend difficile le dépistage des organisations terroristes, l'attribution d'actes terroristes et l'exécution de la justice contre les coupables.

    Honorables sénateurs, c'est exactement la situation qui est maintenant la nôtre.

    On nous dit aussi que le contexte a changé. Le terrorisme exploite les progrès de la technologie. Les organismes responsables n'arrivent plus à suivre l'évolution et à égaler les ressources dont les terroristes disposent aujourd'hui.

    Nous avons étudié la question de la sûreté dans les aéroports. Nous nous sommes interrogés sur les luttes internes de la police et la question de la privatisation, et nous avons considéré les inconvénients et les coûts qu'il faudra peut-être assumer. Nous n'avons peut-être pas assez creusé la question, et peut-être devrions-nous la revoir dans les jours qui viennent. Par contre, nous sommes tombés pile en ce qui concerne ce que le Canada doit faire à l'avenir. Il faut renforcer les moyens dont le gouvernement dispose pour analyser les menaces. Il faut des ressources suffisantes. Les effectifs de l'analyse stratégique sont plus importants que nous ne l'avons d'abord pensé.

    Enfin, notre rapport signale qu'il ne faut pas amoindrir la responsabilité du Parlement à l'avenir. Le Parlement doit, comme institution démocratique, exercer un contrôle et rendre des comptes aux citoyens.

    Au cours des audiences du comité, nous avons longuement parlé du rôle des immigrants et des réfugiés. J'ai été heureuse qu'on s'attarde à la question. Nous avons souligné la valeur de l'immigration, passée, présente et à venir, pour les Canadiens. Les maux de la société canadienne ne viennent pas de façon disproportionnée des immigrants au Canada. Par conséquent, quelles que soient les mesures que nous prenons pour découvrir ces terroristes parmi nous, nous devons faire bien attention de ne pas cibler le précieux actif que constituent les Canadiens qui ont immigré au Canada. Leur contribution à notre société, à la démocratie et à notre mode de vie est également importante pour ceux qui sont nés en sol canadien.

    (1720)

    Honorables sénateurs, nous devons encourager une évaluation et une riposte raisonnées, mais il nous reste encore à savoir ce que cela signifie. Aujourd'hui, beaucoup ont exprimé leur opinion et je prendrai certainement le temps de relire les témoignages de nos honorables collègues et des membres de l'autre endroit. Le problème réside dans la cause fondamentale du terrorisme et dans la capacité de ne pas faire un plus grand mal aux civils qui se composent, de façon disproportionnée dans la plupart des cas, de 70 p. 100 d'enfants et de femmes. Il ne faut pas pousser la vengeance trop loin.

    Honorables sénateurs, il est facile de défendre les droits de la personne en temps de paix et de prospérité. Le véritable critère de notre démocratie consistera à voir si nous pouvons être suffisamment ingénieux et persévérants et faire suffisamment preuve d'esprit de sacrifice pour continuer à défendre ces droits, tant pour nous-mêmes que pour les gens de partout dans le monde, tout en luttant contre le terrorisme. Nous ne pouvons pas nous laisser intimider, mais nous ne devons pas devenir audacieux au point de changer en cours de route, en accordant ainsi une certaine mesure de succès aux terroristes.

    Des voix: Bravo!

    L'honorable Ione Christensen: Honorables sénateurs, à l'instar d'autres sénateurs et au nom de tous les Yukonnais, que je représente, je tiens à exprimer ma sympathie à toutes les personnes qui ont perdu des êtres chers dans cette tragédie. Il y a exactement une semaine, soit le 11 septembre 2001, l'Amérique du Nord a perdu son innocence en recevant un appel d'urgence.

    Si les sénateurs remontent dans l'histoire, ils peuvent pour la plupart citer des événements internationaux qui ont marqué leur vie et changé le cours de l'histoire. Mardi dernier, à 6 heures, heure du Yukon, lorsque j'ai téléphoné à mon bureau d'Ottawa, ma collaboratrice m'a annoncé qu'un accident était arrivé au World Trade Center, à New York. Pendant que nous parlions, elle a vu arriver le second avion à la télévision. C'est alors que nous avons compris ce qui se passait.

    J'ai raccroché, puis j'ai allumé la télévision et, comme des millions d'autres personnes, j'ai assisté à toute cette horreur: l'enfer des tours en feu, l'implosion de ces énormes immeubles et la fumée qui remplissait les rues comme celle d'un volcan. Nous n'arrivions pas à imaginer des humains au milieu de tout cela et, pourtant, ils étaient là... des êtres de chair et de sang écrasés sous les débris.

    Cela semblait tellement loin — à plus de 6 000 milles. Et puis, tout à coup, nous avons cru pendant 12 minutes à Whitehorse, au Yukon, qu'un appareil des lignes aériennes coréennes détourné avec tous ses passagers allait atterrir à notre aéroport, accompagné par des chasseurs américains et canadiens. Ce n'était pas pure spéculation; on avait reçu un signal spécial de l'appareil. Tout sentiment de détachement que nous aurions pu avoir jusque-là s'est dissipé, et nous nous sommes retrouvés au front. Nous avons évacué des écoles, fermé des immeubles et pris rapidement des mesures. Tout s'est bien terminé, finalement, mais la terreur de New York et de Washington demeure.

    Le 11 septembre 2001 a-t-il marqué un changement dans l'histoire? Oui. Un changement profond s'est produit: les événements nous ont fait prendre conscience de la fragilité de notre planète et ont ébranlé notre complaisance. Pareille violence peut-elle se produire uniquement dans un pays lointain? Non, ce n'est désormais plus le cas.

    Il y a deux mots qui ont été utilisés abondamment lors de ces événements odieux: ceux de vengeance et de guerre. Il faut rejeter d'emblée le premier et mener l'autre avec vigueur tant et aussi longtemps que ce sera nécessaire. La vengeance est en soi un acte de terrorisme. L'histoire a montré qu'elle n'a jamais été efficace — ni en Irlande, ni au Moyen-Orient, ni dans les circonstances actuelles. La guerre au terrorisme peut être efficace, notamment si elle est menée vigoureusement et de concert avec d'autres guerres que nous avons déjà résolu de mener — la guerre contre la pauvreté, la criminalité, la drogue et la faim. Toutes sont liées et elles peuvent être remportées, pour peu que les pays démocratiques de ce monde s'emploient ensemble à ce qu'il en soit ainsi.

    En Amérique du Nord, nous avons été particulièrement choyés et nous sommes forts à bien des égards. De concert avec d'autres pays dans le monde, nous pouvons donner l'exemple en empruntant la voie morale et en nous tournant vers les autres pour les aider à bénéficier de la liberté et de la générosité que, trop souvent, nous tenons pour acquises. Même si les événements dévastateurs de mardi se sont produits en sol américain, cet acte de terrorisme a été perpétré contre l'ensemble du monde libre. Le Canada, à titre de voisin le plus proche des États-Unis, doit continuer à faire tout ce que font les bons voisins — faire preuve de compassion, donner du réconfort, dispenser de sages conseils et offrir toute l'aide possible de manière à ce que les auteurs de ce crime monstrueux rendent des comptes.

    Le monde est petit, honorables sénateurs. Notre tâche n'est pas de protéger notre petit territoire, mais de permettre aux autres de bénéficier de perspectives intéressantes. Il ne saurait y avoir des gagnants et des perdants; il n'y aura que des gagnants, sinon nous serons tous perdants, comme nous en avons eu la preuve si horriblement la semaine dernière. Prions pour qu'une force supérieure guide nos pays en ces heures sombres.

    Des voix: Bravo!

    L'honorable David Tkachuk: Honorables sénateurs, mardi dernier, plus de 5 000 personnes ont payé de leur vie le fait de se trouver où elles étaient. La mort de témoins innocents d'une fusillade dans n'importe quelle ville est une tragédie. Cependant, le matin du 11 septembre 2001, des gens ordinaires, dont une centaine pourraient être des Canadiens, ont été, bien malgré eux, des figurants du plus effroyable vidéo jamais tourné. Ce vidéo était rempli d'horreur, qu'il s'agisse des images horribles de corps tombant de plus de 80 étages — qui faisaient penser à des poupées de chiffon — ou des quelque 45 victimes qui sont devenues des héros en provoquant, à une vitesse de 500 milles à l'heure, l'écrasement de leur avion dans le comté de Somerset, en Pennsylvanie, entraînant leur mort et celle des terroristes.

    Honorables sénateurs, j'aime sans réserve les Américains. Dans les Prairies, des villes comme Humboldt, en Saskatchewan, partagent leur nom avec des villes américaines comme Humboldt, en Californie. Des entrepreneurs et des travailleurs américains sont arrivés par vagues après 1948 et la découverte de pétrole en Alberta. Des dizaines de milliers d'autres, en Saskatchewan, ont fait de Phoenix, en Arizona, leur deuxième foyer. Des milliers d'Américains viennent dans les Prairies pour chasser et pêcher. Ils sont nos amis.

    Au nom de la population de la Saskatchewan, je me joins aux autres sénateurs de la Saskatchewan et à tous les sénateurs pour offrir nos plus profondes condoléances au peuple américain. Puisse Dieu lui donner de la force de débusquer les responsables de ces horribles actes criminels terroristes. Puisse Dieu donner au président Bush de la sagesse dans sa quête de justice.

    Le premier ministre a cité, vendredi dernier, Martin Luther King: «À la fin, on ne se souvient pas des mots de nos ennemis, mais du silence de nos amis.» Le premier ministre a continué en disant: «Monsieur l'ambassadeur, quand nos amis américains pleureront leurs morts et reconstruiront, le Canada ne restera pas silencieux.»

    Nous ne resterons pas silencieux durant ces jours terribles. J'appuierai les efforts de notre gouvernement visant à venir en aide aux États-Unis et à remplir nos obligations dans le cadre de l'OTAN. Mes collègues et moi exhortons le gouvernement à protéger les Canadiens.

    (1730)

    En somme, la plus grande responsabilité d'un gouvernement et du Parlement est de protéger la souveraineté. Lorsque les citoyens ne se croient plus en sécurité, ils ne croient plus en leur souveraineté.

    Honorables sénateurs, que pouvons-nous faire maintenant? Nous pourrions accroître la surveillance de nos frontières. Nous pourrions décréter un moratoire sur la délivrance du statut de réfugié. Nous pourrions placer les réfugiés en détention jusqu'à ce qu'ils obtiennent la protection des autorités canadiennes, comme on le fait en Australie. Nous pourrions interdire tous les groupes impliqués dans le terrorisme sur le plan intérieur et transnational. Nous pourrions accélérer l'octroi des fonds nécessaires à la chasse aux groupes terroristes au Canada. Nous pourrions collaborer avec les États-Unis afin de traquer, expulser ou arrêter les terroristes. Nous pourrions collaborer pleinement à l'adoption de projets de loi prévoyant l'octroi de budgets accrus aux forces armées et à la Garde côtière.

    Nous pourrions demander au ministre de la Défense de faire devant les deux Chambres une déclaration sur notre état de préparation. Un comité sénatorial devrait évaluer le travail effectué par les honorables sénateurs au sujet de la sécurité et recommander des mesures concrètes ou l'adoption de projets de loi.

    Qu'il ne subsiste aucun doute, cet acte était un acte de guerre et nous devons réagir en conséquence.

    Des voix: Bravo!

    L'honorable Landon Pearson: Honorables sénateurs, je tiens moi aussi à appuyer pleinement la résolution du Sénat. C'est avec peine et compassion que je pense aux vies qui ont été perdues la semaine dernière ainsi qu'aux familles et aux amis que les victimes laissent dans le deuil. Joignons-nous à eux dans leur peine et prenons le temps d'examiner ce que nous devons faire.

    Cet attentat était une atrocité morale. Le meurtre de bien au-delà de 5 000 personnes perpétré de sang-froid par de jeunes hommes éduqués et intensément motivés, qui ont utilisé leur formation et leurs connaissances pour transformer des avions civils remplis de passagers innocents et horrifiés en missiles guidés qui ont frappé le coeur de l'Amérique, alliait de façon particulièrement horrible la cruauté et la technologie.

    Je laisserai à d'autres plus qualifiés que moi le soin de parler de la nécessité évidente de la sécurité et du renseignement. Je parlerai plutôt des questions qui me troublent depuis que j'ai vu les tours s'écrouler.

    Comment est-il possible de réagir de façon humaine à cet événement si terrible? Comment pouvons-nous prévenir que ce genre d'attaque contre les symboles de la puissance américaine ne se reproduise? Comment pouvons-nous nous assurer que les symboles culturels des États-Unis, comme Disneyland et Hollywood, ne soient pas les prochaines cibles? Comment pouvons-nous nous assurer que nos propres valeurs de tolérance, d'équité et de respect des droits de la personne ne disparaissent pas sous le poids de la vengeance et de la fermeture de nos frontières face à toute menace potentielle, réelle ou imaginaire? Comment pouvons-nous éviter de fermer nos esprits à la suite des événements qui se sont produits?

    Honorables sénateurs, nous devons comprendre pourquoi et comment ces jeunes hommes sont devenus l'incarnation du mal. Si nous ne le faisons pas, jamais nous ne nous affranchirons, nous et les autres, de la peur et de la terreur qu'ils ont semées.

    Les événements de la semaine dernière sont exceptionnels à bien des égards; ce qui n'est pas neuf, c'est la capacité de l'être humain d'infliger des horreurs sans nom à d'autres êtres humains. La plupart des sénateurs ont connu des passages sombres de l'histoire humaine, depuis l'Holocauste jusqu'au génocide au Rwanda. Chaque période a été marquée par une profonde défaillance de l'imagination morale. C'est l'incapacité des auteurs et de ceux qui les ont vu faire de prendre conscience de ce qui est important au plan humain. Aveuglés par la distance, le tribalisme ou l'idéologie, des millions de personnes, au cours du XXe siècle, se sont comportées de façon abominable envers leurs semblables, et des millions n'ont rien fait pour protéger les victimes.

    Honorables sénateurs, que devrions-nous faire pour cultiver la morale de façon à ce que les hommes cessent de s'infliger tant de mal et cessent même d'y songer? Comme on le voit dans le cas des terroristes qui ont perpétré les crimes de la semaine dernière, l'éducation est puissante. Elle peut servir à la destruction ou être bénéfique.

    Il ne fait pas de doute que l'attaque lancée contre les États-Unis a été conçue de façon brillante par des personnes intelligentes et instruites, mais des personnes tellement aveuglées par la haine et l'idéologie qu'elles étaient incapables de percevoir la réalité humaine de leurs cibles.

    Honorables sénateurs, en ce temps de crise, chacun de nous doit trouver sa propre réponse et agir de son mieux. Quant à moi, je travaille pour et avec des enfants. Je redoublerai d'efforts pour promouvoir leurs droits en toutes circonstances afin qu'ils n'apprennent pas à haïr les autres. Je vais aussi essayer de faire en sorte que l'éducation qu'ils reçoivent fera naître chez eux une identité morale reconnaissant la valeur de chaque être humain, même s'il est étranger ou différent.

    Ce n'est pas une tâche facile, ni vite accomplie, mais la multiplication des accords concernant les droits de la personne signés sous l'égide de l'ONU depuis la Seconde Guerre mondiale, qui a culminé en 1989 avec la Convention relative aux droits de l'enfant et le protocole qui a suivi, est une source réelle d'espoir.

    Cette semaine, je devais assister à New York à la séance spéciale de l'ONU sur les enfants. La réunion a été reportée, mais pas pour longtemps. Le rapport intitulé «Un monde sur mesure pour les enfants», que nous attendons encore, nous fournira de bonnes orientations et rétablira peut-être notre sens moral au profit des enfants. Dans un monde sur mesure pour les enfants, la terreur sera absente.

    Des voix: Bravo!

    [Français]

    L'honorable Gérald-A. Beaudoin: Honorables sénateurs, en ces temps difficiles, il est bon de se remémorer cette pensée du grand philosophe Blaise Pascal:

    L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature, mais c'est un roseau pensant.

    Le XXe siècle fut un siècle de grande violence, mais ce fut aussi le siècle de la création des Nations Unies et de la Déclaration universelle des droits et libertés.

    À l'aube de ce XXIe siècle, il faut se souvenir que la vie, que la civilisation, nos biens les plus précieux, sont fragiles.

    Une grande nation amie, à nos portes, vient d'être la victime d'une horreur indescriptible. Nous compatissons de tout notre être avec elle!

    Avant d'agir, avant de réagir, il faut toutefois penser profondément. Nous ne partons pas de rien! Nous avons établi de grandes structures sur le plan international et sur celui du droit international public. À nous de nous en servir adéquatement et plus que jamais, pour le plus grand bien de l'humanité.

    L'honorable Laurier L. LaPierre: Honorables sénateurs, j'aurais préféré faire ma première intervention dans cette auguste Chambre à un autre moment que celui-ci.

    [Traduction]

    Cependant, les circonstances font qu'il est nécessaire de participer à cette discussion, car je suis d'accord avec la motion qui a été présentée et appuyée, et j'espère qu'elle sera adoptée. Je suis d'accord avec cette motion parce que le mot «guerre» n'y est pas mentionné, et aussi parce que personne n'a invoqué une divinité que personne ne peut comprendre. Je pense que Dieu est la personne la plus occupée dans notre univers, puisqu'il doit expliquer à tout le monde ce qu'il l'a fait, s'il l'a fait.

    Je pense que toute cette rhétorique repose sur bien peu de choses en réalité. Je déteste que les gens me disent que le monde libre a été attaqué à l'occasion des événements, aussi tragiques soient-ils, survenus à New York. Ce n'est pas seulement le monde libre qui a été attaqué, mais chaque être humain sur la planète.

    Des voix: Bravo!

    [Français]

    Le sénateur LaPierre: Ce n'est pas le monde civilisé qui a été attaqué, comme la résolution le dit en français.

    [Traduction]

    J'espère que cela va changer.

    [Français]

    C'est le monde entier qui a été anéanti dans ses grandes valeurs morales à ce moment de l'histoire de l'humanité.

    [Traduction]

    Je dois également vous dire que je suis extrêmement triste que, pour des raisons que je n'arrive pas à comprendre, on identifie le terrorisme à un enfant musulman, à un homme musulman ou à une femme musulmane, comme si le terrorisme était limité au monde islamique. Les auteurs de ces actes démoniaques ont...

    [Français]

    [...] accablé l'humanité toute entière par leur violence et leur détermination.

    [Traduction]

    (1740)

    Le terrorisme est un collectif qui s'applique à des gens qui se servent de la terreur à des fins politiques. C'est tout ce que c'est. Il y a de la terreur en Espagne. Adoptons-nous des motions à ce sujet? Il y a de la terreur en Irlande du Nord où, tout récemment, des enfants ont été victimes de violence en se rendant à l'école. Il y a de la terreur en ex-Yougoslavie où des gens tuent des innocents pour tenter d'arriver à leurs fins politiques. Il y a de la terreur en Colombie. Il y a de la terreur dans bien des coins de l'Afrique et de l'Amérique du Sud.

    Je vous dis, honorables sénateurs, que la terreur existe et que le terrorisme existe. Ce n'est pas en nous engageant dans une guerre sainte que nous allons éliminer la menace terroriste qui pèse sur nous.

    Ces derniers jours, j'ai lu dans les journaux tellement de choses négatives au sujet de mon pays que j'en étais, disons, vexé. J'étais vexé essentiellement parce que, jour après jour, des personnalités de toutes sortes dénigraient mon pays en disant qu'il abritait des masses de terroristes simplement parce que nous sommes ouverts et que nous considérons que la Charte des droits s'applique à quelqu'un qui est persécuté dans son pays et qui vient chercher refuge dans notre pays. Je trouve cela très bien du point de vue de l'esprit humain et c'est une grande valeur pour notre pays. Je ne veux pas que cela disparaisse.

    Je suis renversé à l'idée qu'il me faut désormais m'armer jusqu'aux dents pour pouvoir affronter quelqu'un dont j'ignore même l'existence, le lieu où il se trouve et ses activités. Le prix à payer pour s'armer jusqu'aux dents, comme on le demande, pour assurer l'harmonisation, telle qu'on la demande, pour mettre des agents de sécutité en place pratiquement partout, dans toutes les rues et toutes les maisons, comme on le demande, ce prix entraînera le déplacement de sommes considérables. À qui retirera-t-on cet argent? À la pauvre femme et au pauvre homme qui ont des enfants. Aux enfants qui n'ont pas suffisamment d'instruction. Nous devrons laisser tomber notre magnifique politique sur les peuples autochtones que le gouvernement a mise en oeuvre en notre nom et à laquelle nous souscrivons, même si le temps est venu de réparer les torts commis au cours de notre histoire et de permettre à ces gens et ces enfants de mener des vies aussi dynamiques que les nôtres. Le prix à payer pour ces politiques entraînera une réduction de notre aide internationale.

    Je vous en supplie, honorables sénateurs, si nous devons faire la guerre au terrorisme, commençons ici même. Le racisme, c'est du terrorisme et il y a ici, au Canada, des musulmanes qui ont peur de marcher dans la rue de crainte qu'on les frappe ou qu'on leur crache au visage. Dans mon pays! Dans mon pays! Je ne veux pas cela. C'est une forme de terrorisme. Si je dois livrer une guerre, je vais la livrer dans mon propre pays, contre tous ceux qui crachent au visage des Indiens, les Premières nations, qu'ils considèrent comme des ivrognes, entre autres, qui entretiennent toutes sortes de préjugés et qui organisent toutes sortes de manifestations haineuses contre un peuple qui n'a pas la même couleur ou la même religion. C'est du terrorisme!

    Honorables sénateurs, je ne veux pas la guerre. Je veux que mon petit-enfant, qui était en pleurs cet après-midi, grandisse dans un monde d'amour et d'harmonie, où les hommes et les femmes s'entraident, donnent une aide particulière aux enfants de la planète, pour que nous ayons la sécurité que nous voulons tous.

    Ce n'est pas une guerre comme toutes les autres, parce que c'est une guerre de l'esprit.

    [Français]

    Avec cette prise de conscience, nous ne tolérerons pas la violence.

    [Traduction]

    Nous ne tolérerons pas la violence, que ce soit dans nos coeurs, dans notre société ou dans celle des autres pays. Nous défendons ces principes dans notre pays. Cela fait maintenant des siècles et des siècles que nous le faisons, et nous continuerons de le faire.

    L'honorable Elizabeth Hubley: Honorables sénateurs, pour appuyer la motion à l'étude et, tout simplement, au nom des gens de l'Île-du-Prince-Édouard, je désire exprimer nos profonds sentiments de tristesse, de confusion, de rage et de perte, sentiments que partagent tous les Canadiens.

    Nous adressons nos sympathies à nos voisins américains qui font face aux événements tragiques du 11 septembre 2001. Nous avons assisté à des services commémoratifs et à des services religieux, nous avons tenu des vigiles de prières, donné du sang et fait une contribution financière, comme on l'a fait partout dans le monde, dans un effort pour encourager nos amis des États-Unis en cette période difficile.

    Ces efforts, aussi grands soient-ils, semblent bien insignifiants en comparaison avec ces actes épouvantables et avec l'ampleur des pertes infligées. Alors que le monde attend de voir ce qui va se passer maintenant, nous prions pour que les États-Unis d'Amérique continuent de montrer au monde la vraie profondeur de leur courage et de leur détermination à chercher une solution juste et humaine à cette terrible attaque contre leur population et, en fin de compte, contre tous les peuples de la terre.

    L'honorable Anne C. Cools: Honorables sénateurs, je m'unis aux sénateurs des deux côtés de la Chambre pour appuyer cette initiative, qui vient du premier ministre du Canada et qui a été présentée au Sénat par le leader du gouvernement, le sénateur Carstairs.

    J'ai quelques commentaires à faire, mais auparavant, je voudrais réconforter un peu notre nouveau sénateur, le sénateur LaPierre.

    Sénateur LaPierre, je suis convaincue que le premier ministre et le sénateur Carstairs sont tout à fait au courant et comprennent parfaitement la différence entre des gestes horribles et monstrueux de racisme et d'assassinat et les événements qui ont eu lieu à New York et à Washington. J'étais aux États-Unis lorsque ces événements se sont produits et je peux assurer à l'honorable sénateur que tous les membres des forces armées et tous les jeunes hommes et femmes qui sont en alerte et prêts à l'action connaissent la différence entre disons un lynchage, dans le cas des Noirs, et ce qui s'est produit le 11 septembre 2001. Il y a une différence et un autre jour, à une autre occasion, j'essaierai peut-être de convaincre le sénateur et de lui expliquer cette différence.

    Cependant, aujourd'hui, cette motion nous demande d'appuyer notre gouvernement et nos leaders qui veulent aider les Américains. Pour ma part, je souhaite toute la force et l'appui possibles à nos voisins en ce moment de douleur et de tristesse. Je prie tout particulièrement pour les familles affligées des blessés et des disparus, les familles des employés, les équipes de sauvetage et même les passants. À tous ceux qui travaillent encore dans le cadre des opérations de sauvetage, je transmets toute mon énergie et je réitère mon plus grand respect et mon estime à leur égard, car ils travaillent dans des conditions dangereuses et, je l'admets, un peu fastidieuses.

    Honorables sénateurs, si je résume brièvement certains faits rapportés dans les médias aujourd'hui, je peux dire que nous assistons à un véritable phénomène. Quatre avions ont été détournés. Chacun de ces appareils a été piloté puis projeté sur une cible. Deux d'entre eux ont été dirigés délibérément et volontairement vers les deux tours du World Trade Center à New York, un s'est écrasé sur le Pentagone à Washington et l'autre dans un champ en Pennsylvanie. Il n'a pas atteint sa cible. On pense que cet aéronef se dirigeait vers la Maison-Blanche. Toutefois, trois passagers auraient confronté les pirates de l'air et essayé de les maîtriser.

    (1750)

    À l'heure actuelle, le nombre de disparus à New York s'élève à 5 422. Nous savons tous que des milliers de personnes travaillaient au World Trade Center. On nous dit qu'à Washington, D.C., 91 personnes sont portées disparues et 97 sont mortes. Je lisais il y a quelques instants à peine qu'il y a 218 décès confirmés à New York et que l'on perd rapidement espoir pour ce qui est des autres disparus. Le maire Rudolph Giuliani de New York a dit que l'espoir de retrouver des vivants parmi les disparus diminuait.

    Honorables sénateurs, les attentats dans ces deux villes nous ont surpris et ébranlés. L'ampleur des pertes de vie, et de la destruction dépasse tout ce que nous pouvions imaginer. Je ne pense pas que nous ayons la capacité de comprendre ce qui s'est produit. Ces attaques massives — conçues, planifiées et exécutées de sang-froid pour atteindre un objectif de terreur, de souffrance, de mort et de destruction — s'inscrivaient dans un plan diabolique et cruel dont le résultat a été terrible.

    Honorables sénateurs, je me trouvais aux États-Unis lors de ces événements tragiques. J'ai été retenue durant plusieurs jours à San Diego, en Californie, loin de chez moi. Cela m'a semblé durer une éternité et ce fut une période très difficile. J'avais été conférencière d'honneur à une conférence organisée par le National Centre for Strategic Non-Profit Planning and Community Leadership. Le président de cet organisme, Jeffrey Johnson, et la présidente de la conférence, Charlene Meeks, ont fait de l'excellent travail. Tous les participants se sont tenus par la main et ont prié ensemble en ce mardi matin du 11 septembre 2001, à 9 heures, heure du Pacifique. Ils se sont tenus par la main et ont prié, comme la majorité des Américains d'un océan à l'autre.

    Durant ces journées, mon expérience auprès des Américains m'a fait partager leur souffrance. Les participants à la conférence se précipitaient pour obtenir des renseignements au sujet de parents et d'amis, tandis que j'essayais de trouver un moyen de rentrer à Ottawa.

    Honorables sénateurs, la visite du président des États-Unis, George W. Bush, sur les lieux des attaques a été très bien accueillie et a réconforté les familles des victimes ainsi que les secouristes. La présence du président Bush leur a donné une force morale, émotionnelle et spirituelle. Sa visite a été perçue comme une affirmation de l'ancienne notion selon laquelle un leader est au service de ceux qu'il dirige, et elle a mis en relief le fait qu'une société compte sur la force morale de son leader. Les Américains ont été réconfortés à un niveau très personnel par la présence du président Bush et par ses prières.

    Une profonde incertitude règne actuellement aux États-Unis d'Amérique. Encore une fois, j'offre mon affection, mon amour et mes prières aux Américains et je leur demande d'agir avec prudence.

    Je voudrais vous lire un poème que certains sénateurs plus âgés reconnaîtront. Ce poème avait été lu par le roi Georges VI, notre propre roi, dans son message radiodiffusé de Noël 1939, une période de grande incertitude dans l'histoire canadienne et britannique. En mai et juin 1939, le roi Georges et la reine Élizabeth, l'actuelle reine-mère, ont effectué une visite au Canada. Le premier ministre, William Lyon Mackenzie King, et Winston Churchill avaient apparemment vu dans cette visite un moyen d'assurer une rencontre entre le roi et le président des États-Unis d'Amérique, M. Roosevelt.

    La déclaration de guerre avait été faite en septembre et, dans son message de Noël, le roi Georges VI a immortalisé ces paroles de Louise Haskins. Le poème, intitulé «God Knows», a été publié dans l'ouvrage intitulé The Gate of the Year.

    J'offre ce poème à tous les Américains, à M. Bush, à toutes les familles et à tous les secouristes.

    J'ai dit à l'homme qui se tenait à la porte de l'année: «Donne-moi une lumière pour que je puisse avancer en toute sécurité dans l'inconnu.»

    Et il a répondu:

    «Va dans l'obscurité et mets ta main dans celle de Dieu. Cela sera pour toi mieux qu'une lumière et plus sûr qu'un chemin connu.

    Alors j'y suis allée et, trouvant la main de Dieu, j'ai parcouru gaiement la nuit; et il m'a conduit vers les collines et vers le jour naissant de l'Orient.»

    Honorables sénateurs, cet événement est tellement énorme qu'il dépasse l'entendement. Le mieux que je puisse dire à M. Bush, le président, à M. Giuliani, le maire de New York, et à toutes les personnes concernées, c'est: «Dieu bénisse l'Amérique».

    [Français]

    L'honorable Marcel Prud'homme: Honorables sénateurs, les politiciens disent souvent: «Ce n'était pas mon intention de me joindre au débat.» Et tout le monde sourit. Pour des raisons que vous jugerez à la brièveté de mes propos, ce n'était pas mon intention de participer au débat.

    J'offre aussi mes voeux de sincères sympathies à nos amis et voisins qui souffrent. Je leur souhaite du courage et les assure de nos prières.

    (1800)

    Honorables sénateurs, hier, je m'entretenais avec des journalistes de Radio-Canada, du quotidien The Gazette de Montréal et du Globe and Mail. J'ai tenu des propos très durs. Aucun de ces propos n'a été rapporté, bien que j'aurais souhaité que quelques-uns le soient.

    Je leur ai dit que je me sentais en sécurité de savoir qu'actuellement, le pays est gouverné par un homme que je connais depuis 1953. Sans vouloir l'offenser, je dirais qu'il a un «gros bon sens terrien». Il s'agit bien sûr du premier ministre du Canada, M. Jean Chrétien. Je sais très bien que cet ami de toujours saura mener la barque canadienne avec sagesse et intelligence. Je serais fort surpris du contraire.

    Je voudrais me joindre à ce qu'ont affirmé certains de mes collègues. Vous connaissez la passion avec laquelle je pourrais vous entretenir. Lorsque je vous parle du Canada, je m'oublie et je m'écrase presque. Aujourd'hui, je me sens aussi passionné, mais je n'ai plus la même vitalité.

    Les propos du sénateur Lapierre étaient très émouvants. Je crois que les nouveaux sénateurs qui se joignent à nous aujourd'hui possèdent un talent égal et qu'ils sauront nous aider dans notre réflexion.

    Nous avons tous besoin d'inspiration et en tant que sénateurs privilégiés, gâtés, nous avons une responsabilité. Il nous faut rendre à la société canadienne et internationale ce que la population a bien voulu nous donner lorsqu'elle a accepté que nous devenions sénateurs.

    Je vous invite à relire les propos du sénateur Roche, car ceux-ci méritent d'être relus en entier. Vous savez, mon père, qui était médecin, m'a toujours bien guidé jusqu'à sa mort. C'était un philosophe qui lisait le grec dans le texte et qui connaissait mon intérêt pour la chose internationale. Il m'avait bien prévenu en me disant: «Tu sais, on ne naît pas terroriste, on le devient.»

    [Traduction]

    Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, l'horloge indique 18 heures. Vous plaît-il que je ne tienne pas compte de l'heure?

    Des voix: D'accord.

    Le sénateur Prud'homme: Je vous remercie, honorables sénateurs. Je n'ai pas l'intention d'abuser, je connais bien la règle.

    [Français]

    Mon père me disait aussi: «Essaie de définir les mots.» Il y a ici des étudiants des écoles classiques du Québec où on apprenait la racine des mots. Je souhaite d'ailleurs que les mots employés lors de ce débat — tel le mot «terroriste», employé à toutes les sauces — soient bien définis.

    Vous connaissez tous mon implication dans une cause. On l'appelle «la cause de Prud'homme».

    [Traduction]

    Je tiens à dire officiellement que je ne suis pas un Québécois, je ne suis pas un musulman, je ne suis pas un Palestinien, je ne suis pas un Israélien, je suis un Canadien.

    [Français]

    Cela, je l'ai dit en français.

    [Traduction]

    Un Canadien ne devrait jamais hésiter à défendre le bien ni à chercher la cause des problèmes qui assaillent l'humanité. En 1970, soit il y a 32 ans, et en 1956, à l'Université d'Ottawa, j'ai moi-même essayé de trouver la cause du problème. Je parle d'une partie du monde seulement, soit du Moyen-Orient, que je connais bien. Rien de pire ne saurait arriver à un député ou à un sénateur que ce que j'ai eu à subir. J'ai gardé le silence. Je le garde encore.

    Honorables sénateurs, des amis sont en train de compiler tout ce qu'on a écrit de pire à mon sujet au cours des 35 dernières années. Je n'ai pas réagi, car je crois que ce n'est pas ainsi qu'on peut comprendre ce qui arrive à l'humanité. Lorsque j'entends dire qu'il faudra mettre des milliards de dollars dans ceci ou cela, dont immédiatement 40 milliards de dollars dans des armes, je ne peux que rêver à ce qu'on aurait pu faire avec quelques-uns de ces milliards pour redonner aux gens leur dignité.

    Honorables sénateurs, tous les peuples de la terre veulent avoir ce que nous avons ici. Si l'on ne comprend pas cela, on ne comprend rien à l'humanité. On ne comprend pas ce que veut dire l'expression «race humaine». Inutile de dire que nous allons devenir paranoïaques. Il faut trouver les coupables. Il faut punir les coupables. C'est évident. Toutefois, il ne faut pas se laisser aller à effrayer et à diviser les gens.

    Notre nouveau collègue, le sénateur LaPierre, a parlé d'une femme qui a été maltraitée. Je connais un sénateur qui s'est fait dire ceci, récemment, par un autre sénateur: «Bigre, avez-vous vu ce qu'a fait votre ami?» C'est aussi pire que de recevoir une gifle si l'on est Noir, Indien, hindou ou sikh. Il faut s'endurcir. Il faut apprendre à encaisser lorsque son but dans la vie est d'abord et avant tout d'obtenir la justice pour tous sans exception, d'amener les Canadiens, entre autres, à comprendre.

    [Français]

    Nous n'avons pas le droit d'ignorer les grandes questions de l'heure, qui ne peuvent que nous mener vers d'autres tragédies encore pires que celle vécue par nos voisins, nos amis américains.

    [Traduction]

    Je conclurai en citant le discours de mon estimé collègue. Il est parfois difficile de comprendre des propos cités hors contexte, mais il y a là matière à réflexion pour les nouveaux pages qui viennent de partout au Canada, comme c'est toujours le cas. Mon collègue a déclaré notamment: «Car les terroristes de demain sont les enfants qui se trouvent aujourd'hui dans les camps de réfugiés.»

    Des voix: Bravo!

    Son Honneur le Président: La Chambre est-elle prête à se prononcer?

    L'honorable sénateur Carstairs, appuyée par l'honorable sénateur Lynch-Staunton, propose:

    Que le Sénat exprime son émoi et sa consternation face aux attaques insensées et odieuses dont les États-Unis ont été la cible le 11 septembre 2001;

    Qu'il offre ses plus profondes condoléances aux familles des victimes et au peuple américain tout entier; et

    Qu'il réitère sa détermination à défendre la liberté et la démocratie, à traduire en justice ceux dont les actions témoignent de leur mépris pour ces valeurs fondamentales, ainsi qu'à défendre le monde civilisé contre toute nouvelle attaque terroriste.

    Honorables sénateurs, vous plaît-il d'adopter la motion?

    Des voix: D'accord.

    (La motion est adoptée.)

    [Français]

    ADOPTION DE LA MOTION AUTORISANT LA TRANSMISSION DU TEXTE DE LA RÉSOLUTION AU CONGRÈS

    L'honorable Fernand Robichaud (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, je propose, appuyé par le sénateur Kinsella, que le Président communique au Congrès des États-Unis d'Amérique le texte de la résolution adoptée à l'unanimité par le Sénat du Canada aujourd'hui, ainsi que les noms de tous les membres du Sénat.

    [Traduction]

    Son Honneur le Président: La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?

    Des voix: D'accord.

    Son Honneur le Président: Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

    L'honorable Marcel Prud'homme: Honorables sénateurs, j'ai exprimé mes opinions. L'honorable sénateur LaPierre en a parlé. Certains sénateurs insisteraient fortement auprès du leader du gouvernement au Sénat afin qu'il s'assure que la version française de cette résolution correspond exactement au libellé de l'anglais qui vient d'être lu.

    (1810)

    Nous éprouvons des difficultés, et je les ai exprimées. Il est inutile de répéter les paroles du sénateur LaPierre. Je sais que bien des sénateurs ont dit tout à coup: «Mon Dieu! En français, cela ne veut pas dire la même chose.»

    Nous sommes d'accord avec le texte anglais. Nous le signerons tous. Nous allons signer le texte français aussi. Cependant, nous souhaitons que des linguistes garantissent que les deux textes disent exactement la même chose. J'avertis les honorables sénateurs qu'il risque d'y avoir des discussions pouvant mener à un malentendu, et nous devrons fournir des explications. Mon père avait l'habitude de dire que, lorsqu'on commence à expliquer, tout est perdu.

    L'honorable Sharon Carstairs (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je remercie le sénateur Prud'homme pour son intervention. Je parlerai aux divers intéressés afin de garantir que le libellé soit identique.

    Son Honneur le Président: Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

    Des voix: D'accord.

    Son Honneur le Président: Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?

    Des voix: Oui.

    (La motion est adoptée.)

    [Français]

    L'AJOURNEMENT

    L'honorable Fernand Robichaud (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat et nonobstant l'article 58(1)h) du Règlement, je propose:

    Que, lorsque le Sénat s'ajournera aujourd'hui, il demeure ajourné jusqu'à demain, le mercredi 19 septembre 2001, à 13 h 30.

    Son Honneur le Président: La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?

    Des voix: D'accord.

    (La motion est adoptée.)

    Les travaux du Sénat

    L'honorable Fernand Robichaud (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, je propose que le Sénat s'ajourne maintenant et que tous les points figurant à l'ordre du jour et au Feuilleton des avis, qui n'ont pas été abordés, demeurent dans leur ordre actuel.

    (Le Sénat s'ajourne au mercredi 19 septembre 2001, à 13 h 30.)


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